Rudolf Noack, une mémoire occultée
A l’exception d’une fiche Wikipédia, il s’agit du premier texte rédigé en français consacré à Rudolf Noack, publié sur le NET
C’est désormais un rituel bien huilé qui se déroule dans la plupart des clubs de football huppé. Les joueurs qui ont marqué l’histoire du club sont honorés en ayant une place de choix à travers des musées et des statues de bronze commandé à des artistes réputés. Le club du Hambourg SV ne déroge pas à la règle, enfin presque…
Il y a belle lurette que le club hambourgeois n’occupe plus les devants de la scène sportive. Néanmoins, son palmarès, son histoire et les joueurs qui ont porté le maillot du HSV font de ce club un grand d’Allemagne et d’Europe. Pour les fans du HSV, Uwe Seeler est le premier joueur qui vient à l’esprit. Vient ensuite, Otto Harder, Kevin Keegan, Horst Hrubesh, Felix Magath et bien d’autres vedettes du ballon rond. Un autre nom apparaît épisodiquement dans certaines conversations. Celui de Rudolf Noack, un joueur des années trente qui bénéficie parmi les profanes du HSV d’un culte unique.
En retour, Rudolf Noack ne bénéficie d’aucune publicité de la part du club. Son nom est cité quand il s’agit de revisiter l’histoire du club, mais une forme d’ostracisme permanent entoure son nom. Pourtant, Rudolf Noack fut la grande vedette du HSV des années trente. Il reste encore à ce jour, le troisième marqueur de l’histoire du club. Noack, un joueur fantasque, une technique au-dessus de ses équipiers et ses adversaires, un sens du but qui en faisait un milieu-attaquant redoutable. Le meilleur joueur allemand de son époque…
Rudolf Noack est né en 1913 à Harburg, un quartier situé au sud de la ville de Hambourg. Issu d’une famille ouvrière, il commence à s’intéresser au jeu de balle dès sa petite enfance. C’est dans le quartier de Mopsberg qu’il apprend à jouer au football. Durant ses interminables matches improvisés avec des jeunes de son âge, il fait la connaissance de Friedo Dörfel et de Rudolf Greifenberg. Dès lors, les enfants ne se quittent plus.
Adolescent, le père de Rudi l’inscrit dans un club. Vers ses dix-huit ans, il intègre le SSV Harburg, néanmoins, il travaille au côté de son père dans une usine de caoutchouc. Dès ses débuts, un scout du HSV le remarque. Les clubs hambourgeois de l’Altona du Sankt Pauli et du Victoria le suivent également, cependant le transfert de Rudi est rapidement conclu entre le petit club amateur et le club le plus en vue de la région. En quelques semaines, le Rothenbaum, stade historique du HSV situé en plein centre-ville de Hambourg devient le jardin de Noack.
Malgré son jeune âge, Rudi le débraillé comme le surnomme les habitués du Rothenbaum, s’impose rapidement comme le leader de son équipe. La joie de Noack est double. Après un parcours différent, ses amis d’enfance Friedo Dörfel et Rudolf Greifenberg intègrent l’équipe première du HSV. C’est l’époque ou le club de Schalke 04 en raison de son jeu technique et léché impose sa loi au football allemand. Cependant le HSV fait bonne figure. Le club hanséatique domine sa région le plus souvent. Le HSV ajoute cinq titres de Gauliga, ligue régionale à son palmarès et décroche le titre de champion d’Allemagne du Nord.
Le parti national-socialiste qui prend le pouvoir en 1933 ne chamboule guère l’organisation sociale du football allemand. Les ligues régionales sont modifiées. Le projet de créer un championnat élite regroupant une vingtaine de clubs à l’image de ce qui se fait en Europe est rejeté. Par contre, une coupe nationale calquée sur la FA Cup est créée en 1935. Cette règle complique le travail du sélectionneur Otto Nerz. Il est impossible pour ce dernier et ses adjoints de suivre tous les clubs, plus de 250, et de superviser les joueurs susceptibles d’intégrer la mannschaft.
Une position et un style qui fait désordre
Une chevelure ébouriffante, un tatouage grandeur nature sur le bras gauche, le maillot au-dessus du short le plus souvent, fondu de surf, Noack ne passe pas inaperçu dans la vie de tous les jours. Son talent va de pair avec cette allure qui détonne dans le monde du football allemand. Cela arrive aux oreilles de la nouvelle autorité du régime nazi en charge de l’activité du sport professionnel. Le cas Noack est évoqué, mais sans plus. Le sélectionneur Otto Nerz décide de l’incorporer dans la mannschaft pour disputer le Mondial qui se déroule en Italie. Noack débute face à la Hongrie avec une victoire sur la marque de 3 à 1 en faveur de l’Allemagne. Noack est honoré de porter le maillot de la sélection, néanmoins il déchante rapidement.
Il est perdu dans une formation qui pratique un jeu rigide. En attaque, Edmund Conen l’avant-centre de Sarrebruck et vedette de la mannschaft aspire le jeu vers lui. Nerz comprend que la dilution de Noack dans le collectif est un problème de taille. Le sélectionneur ne prend aucun risque. Lors du début du Mondial, il laisse Noack sur le banc.
Après deux victoires acquises aux dépens de la Belgique et de la Suède, l’Allemagne se retrouve en demi-finale face à la Tchécoslovaquie, un des prétendants au titre. Nerz est conscient que c’est une occasion unique de faire un gros résultat du fait de l’absence de l’Uruguay et l’Argentine. Nerz profite de la défection de quelques joueurs blessés pour titulariser Rudolf Noack âgé de vingt ans. Le président de la fédération allemande de football Felix Linnemann interpelle Nerz sur ses choix. La titularisation de Noack fait débat.
Quand on vous dit que le football est une vieille histoire…..
Nerz n’a pas le choix. Au fond opposer un joueur de cette trempe au onze tchécoslovaque en vaut la peine. Aligner le jeune Noack, c’est jouer le tout pour le tout.
La partie débute sous le regard des spectateurs italiens massé dans le stade du PNF à Rome. Il n’y a pas de surprise, les Tchécoslovaques prennent le jeu à leur compte. Nejedly la vedette du Sparta Prague ouvre la marque, néanmoins la mannschaft résiste, quant à Noack, il joue son rôle. Il récupère des ballons en jouent bas puis par une série de dribble remonte le terrain obtenant des coups-francs le plus souvent. Les Tchèques sont souverains et font le nécessaire pour aggraver la marque, mais ils n’avaient pas prévu la présence de Noack que l’ensemble découvrent à cette occasion.
Après une heure de jeu, les Allemands égalisent à la surprise générale. Rudolf Noack est passé par là et redonne vie à ses coéquipiers. Dix minutes plus tard, Oldrich Nejedly ôte tout espoir aux hommes de Nerz. Il ajoute un troisième but en toute fin de partie. Nerz est partagé. La défaite était presque inévitable, mais l’Allemagne s’est hissée en demi-finale et son pari de faire jouer Noack a failli réussir. Cependant, Nerz ne possédait pas un effectif de joueur capable de former une équipe de combattant prêt au sacrifice en jouant pour Noack. Après cette élimination, Nerz bien que membre du NSDAP subit plus d’une remarque désobligeante des gens en charge de la sélection, Linnemann en tête.
Ennui avec le régime
Pour une raison inconnue, Noack n’est plus sélectionné par la suite. Il ne fait aucun doute que Nerz avait subi quelques pressions venant des dirigeants de la DFB. Quoi qu’il en soit, Noack reprend ses habitudes avec son club. D’après les propos de son équipier Rudolf Greifenberg, à cette époque, Noack fut importuné par des gens en liaison avec le pouvoir. Son attitude à snober les avances du régime était mal vue par les gens de la DFB.
En 1937, le nouveau sélectionneur de la mannschaft Sepp Herberger le rappelle pour disputer une rencontre face la Suisse. Noack ne marque pas, mais il mène son équipe à la victoire face à une très solide formation helvète. C’est sa dernière prestation pour la sélection nationale. Un peu plus tard, la sentence tombe. Noack est suspendu plusieurs mois pour indiscipline et rate le Mondial en France. Il y avait des gens au sein de la fédération de football qui avait Noack dans le nez. Malgré ses efforts, le titre national reste inaccessible pour Noack et ses compagnons. Le HSV rate le coche à plusieurs reprises et ne parvient à rallier Berlin.
Une coupe pour l’histoire
En 1943, Rudi Noack est appelé sous les drapeaux. Il est affecté à une compagnie de DCA dans le but de défendre la ville de Vienne. Toutefois, sa carrière de footballeur continue. Durant cette période, Noack enfile le maillot du First Viennois. Lors d’une rencontre face au Rapid, il est confronté à un jeune espoir du club et du football autrichien qui officie au poste de libero. Ernst Happel. C’est un choc pour le jeune Happel. Lorsque le Rapid ne joue pas en même temps que le First Vennia, Happel en profite pour aller voir jouer les jaunes et bleus et Rudi Noack. Il ne voulait pas perdre une miette. Noack avait subjugué Happel. « Le meilleur joueur que j’ai vu sur un terrain de football ». Happel répétera cette phrase le reste de sa vie en privé pour ne pas paraître ridicule en public du fait de l’apparition de nouveaux grands joueurs sur la scène continentale.
Lors de cette saison, Noack hisse le First Vienna en finale de la coupe d’Allemagne. Opposée au SLV Hambourg un club créé sous l’impulsion de la Luftwaffe, la rencontre qui se dispute à Stuttgart s’achève sur le score de deux buts partout. Noack à inscrit un but. Lors de la prolongation, Rudolf Noack règle le sort du match à la 113e minute et donne la victoire à son club dans un vacarme indescriptible.
D’un camp de prisonniers à l’Oural
Fin 1944, Noack rentre à Hambourg dans une ville meurtrie par les bombardements alliés. Toutefois l’activité sportive continue dans le but de maintenir le moral de la population. Le Rothenbaum épargné par les bombardements est un lieu de rencontre pour la population hambourgeoise. Noack dispute plusieurs parties avec son cher HSV.
Toujours affecter à une batterie antiaérienne, Noack est fait prisonnier par les Soviétiques. D’emblée, il ne se conforme pas au régime strict du camp où il est interné. Il le fait savoir aux autorités soviétiques qui administrent le camp. Quelques mois plus tard face à temps de rébellion, Rudolf Noack est transférer dans un camp de prisonniers dans le fin fond de l’Oural en URSS. Victime de brimades de la part de ses geôliers et des travaux forcés inhumains qu’il effectue, Noack flanche. Fini de dribbler la vie, la gravité la rattraper. En juillet 1947, il contracte une infection intestinale. Très affaibli, il meurt quelque jour après.
En Allemagne et dans le reste de l’Europe, les choses reprennent leur cours. Le football allemand est durant un temps mis à l’écart par les instances internationales malgré la présence d’Ivo Schricker secrétaire général de la FIFA. Le championnat d’Allemagne redémarre en août 1947. Il est difficile de faire le tri entre les anciens et les nouveaux. Beaucoup de joueurs ont mis un terme à leur carrière à cause de leur âge ou de blessure causée par la guerre, mais un seul nom revient sur les lèvres des habitués du Rothenbaum. Mais où est passé Noack ? Peu de temps après, la nouvelle tombe…
Quarante ans plus tard, Ernst Happel un des meilleurs entraîneurs de la planète football prend le club hambourgeois en charge. Il mène le club hanséatique au sommet du football allemand et européen. Une manière pour Happel de continuer sa ronde dans le monde du football professionnel et de régler sa dette envers l’idole de sa jeunesse.
De nos jours, les instances du football allemand et international continuent à ignorer Rudolf Noack. Il ne figure pas sur le site de la FIFA. La question est quel crime a donc commis Rudolf Noack pour être ostracisé de cette manière ?
Celui d’avoir été un soldat allemand durant deux années et d’être mort en captivité du «bon côté». De nos jours, la chose peut paraître absurde, voire révoltante, mais il en est ainsi. Les oies blanches en charge de la régulation du monde du football veillent sur leur immense jouet plus que jamais. Cette mesquinerie ne risque pas de s’achever de sitôt. Point d’absolution pour Rudolf Noack. Aucune statue en bronze et de lieu qui porte son nom. Ne restent que quelques photos, de simples récits et une vidéo où il offre la Coupe d’Allemagne au First Viennois…
Certains pensent que c’est mieux ainsi. Ils ont raison. Ignorer sa légende continuera de s’étendre. Elle grandira sans que personne ne puisse l’arrêter. Un jour viendra où un conteur racontera au plus jeune la légende de Rudolf Noack, le crack du football allemand avant-guerre. L’histoire d’un magicien de la balle qui faisait se déplacer les foules aux quatre coins du pays pour le voir joué. L’histoire d’un jeune homme insouciant qui n’avait peur de personne…