Outsider
Paris, 28 mai 1975. L’Union européenne de football fête les vingt ans d’existence de la Coupe d’Europe des clubs champions. Cette compétition initiée par le journal l’Équipe est honorée par la présence d’un parterre de vedettes et l’ensemble du gotha du football européen au stade du Parc des Princes. La rencontre ultime de cette vingtième édition du trophée le plus prestigieux en Europe oppose le Bayern Munich tenant du titre à Leeds United champion d’Angleterre en titre. Quatre-vingt-dix minutes plus tard dans un vacarme indescriptible, des feux sont improvisés dans les gradins et des sièges volent dans tous les sens. Franz Beckenbauer capitaine de la formation munichoise soulève sa deuxième Coupe d’Europe des clubs champions dans une atmosphère de chaos général. Leeds United malgré un match plein s’incline par deux buts à zéro face au club bavarois aidé par l’arbitrage durant toute la rencontre.
La presse condamne la violence des supporteurs anglais bien aidés par les Français présents ce soir-là. Néanmoins, certains journalistes prennent fait et cause pour Leeds United. Jacques Thibert, rédacteur en chef de France Football lance à travers son éditorial sa fameuse tirade « nous sommes tous des hooligans de Leeds ». Cette critique qui dénonce les manquements d’un corps arbitral sous pression arrive bien tardivement, car le mal est fait. Leeds United ne sera plus jamais en situation de retrouver le haut du classement malgré un titre de champion d’Angleterre obtenu en 1992, et une demi-finale de Champions League disputée en 2000 face au club espagnol du FC Valence.
Un peu d’histoire
Le club de Leeds United est fondé en 1919. La formation du Yorkshire intègre la Football League l’année suivante. Trois ans plus tard, Leeds accède à la première division pour la première fois de son histoire. Le club peine à se maintenir au plus haut nouveau. Il connaît les affres de la relégation puis reprend sa place dans l’élite à plusieurs reprises durant la première partie du XX siècle.
Lors de la saison 1961, Don Revie ancien joueur professionnel pose son sac du côté du stade d’Elland-Road. Le jeune coach à fort à faire lors de sa première saison. Il évite au club une rétrogradation en troisième division. Au bord du gouffre des investisseurs locaux de confession juive rachètent le club. Ils le recapitalisent et confient le management à Revie qui leur a fait bonne impression lors de leur premier contact. Lors de la saison 1964, Leeds retrouve l’élite du football anglais et s’installe dans le « big-three ». D’emblée, Don Revie modifie le style de jeu pratiqué par son équipe. Il s’efforce dans un premier temps de rehausser le niveau technique de son groupe. Il mélange le passing-game et le kick n’rush. Il laisse à ses meilleurs éléments la liberté de créer et dote ses joueurs d’un mental de guerrier couplé à une solidarité extrême et métisse l’ensemble. Enfin, il inverse les couleurs de l’équipe. Le jaune et bleu pour les rencontres à l’extérieur, le blanc en référence au Real Madrid pour les matches à domicile.
La créativité est un contre-pouvoir.
Pour les Anglais, c’est une révolution. La presse rejette cette concussion et fait étalage de sa mitraille académique. Bien que Leeds évolue un cran au-dessus de tous ses adversaires en pratiquant un football généreux intelligent technique et physique, L’équipe de Revie est affublée du surnom de Dirty-Leeds par l’ensemble des médias britanniques. La formation du Yorkshire ne se contente pas de battre son rival du jour. Ses meilleurs joueurs dont l’emblématique Billy Bremner aime en rajouter. Chambrange de l’opposant. Tacle bien saignant et distribution de coup de poing en cas de besoin. Tous ses ingrédients font partie intégrante de la panoplie des Peacocks. L’équipe de Don Revie pratique l’intimidation physique.
Brian Clough jeune manager du club de Derby County qui végète en deuxième division est le plus virulent contradicteur de Don Revie. De retour au sein de l’élite, Clough et Revie affichent une antipathie publique. En 1972, Derby County remporte le titre au nez et à la barbe de Leeds. Deux ans plus tard, un débat télévisé oppose les deux protagonistes après que Clough ait été démis de ses fonctions de coach de Leeds United. Don Revie ayant au préalable accepté le poste de sélectionneur national. Brian Clough n’attend qu’une chose, que Don Revie qu’il considère comme sa référence (cela crève les yeux) le félicite pour son parcours avec Derby County et reconnaît qu’il ne lui guère facilité la tâche avec la reprise de Leeds. On perçoit une grande proximité affective refoulée entre les deux hommes. Brian Clough éprouvait une forme de désintérêt envers les managers old school, Matt Busby, Bill Shankly, Bill Nicholson. De nos jours, cet épisode est toujours mal interprété par les spécialistes du football anglais.
Sous la conduite de Don Revie, le club de Leeds United remporte la Coupe de la Ligue en 1967. La FA Cup en 1972, deux titres de champion d ‘Angleterre en 1968 et 1974 et deux victoires en Coupe d’Europe – C3 – en 1967 et 1969. C’est aussi, cinq deuxièmes places en championnat. Trois autres finales de Coupe d’Europe et trois finales de Coupes nationales toutes perdues. Les fins de saisons du club phare du Yorkshire font partie de la légende du football anglais. Trop gourmand au point de tout perdre à l’ultime journée. Leeds United, c’est aussi toute une série de matchs violents avec en toile de fond l’arbitrage et la provocation d’adversaire habile.
Leeds paye lourdement cette réputation plus que défavorable et qui est à la source de plusieurs titres perdus sur le fil. C’est une addition interminable de polémiques qui finissent par dissimuler un nombre de confrontations importantes produit par Leeds caressant la perfection sur le plan technique et tactique. Des performances qui seraient qualifiées de nos jours de chefs-d’œuvre par beaucoup d’observateurs.
Les rencontres perdues face au Milan et le Bayern Munich dans le cadre des éditions de la Coupe des vainqueurs de coupes 1973 et de la Coupe d’Europe des clubs champions 1975 étayent ce sentiment de cabale. À Salonique, Leeds essaye de jouer son football, mais disjoncte face à une équipe vicieuse groupée autour de son capitaine et leader, Gianni Rivera. Ce soir-là, le beau Rivera – il avait produit la même chose contre le club argentin de l’Estudiantes en finale de l’Intercontinentale en 1969 – se glisse dans la peau de capo. Un rôle peu gratifiant pour un joueur de cet acabit. L’arbitre grec Chrístos Míchas couvre les multiples provocations et gestes d’antijeu des joueurs italiens. Un match vu et revu durant la période de Dirty-Leeds. Le public local prend fait et cause pour la formation anglaise. Bien après le coup de sifflet final, une série d’affrontements éclatent autour du stade.
C’est un fait incontestable, le club du Yorkshire est victime d’un délit de faciès orchestré par les instances de la Football association et l’UEFA durant sa tentative de règne sur le football britannique et européen entre 1965 et 1975. Certains esprits peu éclairés affirment que les coéquipiers de Billy Bremner l’ont bien cherché, cependant, laissons ce type de pensées atrophiées de côté et essayons d’avancer.
Face à l’establishment
Don Revie était ouvertement en conflit avec la ligue dont son tout puissant administrateur Alan Hardaker. Cet ancien joueur devenu cadre puis président de la Football League règne en maître sur le football anglais de l’après-guerre au point de diffuser une certaine peur à l’ensemble des dirigeants de clubs.
Revie refuse de s’abaisser aux injonctions de Hardaker. Le manager de Leeds n’a de cesse d’interpeller la Football League au sujet du calendrier. Son club joue sur tous les fronts. Championnat, FA Cup, coupe de la ligue et coupe d’Europe. Don Revie affronte à plusieurs reprises Hardaker au point où ce dernier décide d’aller à la rencontre des dirigeants du club de Leeds. L’entretien est glacial. Le board qui soutient sans faille son manager fait remarquer à Hardaker que ses prises de position ont coûté plusieurs titres au club du Yorkshire. Ulcéré, le patron de la FA rétorque que seuls Don Revie et ses joueurs sont responsables de leurs défaites.
Hardaker est connu pour avoir tenu des propos qui ne laissent aucun doute sur sa vision de la vie. Clairement xénophobe et vindicatif, conservateur, Hardaker et l’ensemble des dirigeants de la FL ne voulaient pas entendre parler de nouveauté dans le football Anglais. Certains administrateurs du club étaient juifs. L’antijudaïsme était un sentiment répandu chez certaines élites old school en Perfide-Albion suite à l’affaire concernant Lionel de Rothschild élu député de la cité de Londres en 1847. Alan Hardaker n’était pas un homme de la haute société, toutefois, il en avait épousé certains mécanismes de la pensée.
Alan Hardaker considérait que Leeds n’était pas une terre de football. Ce club n’appartenait pas à l’histoire du football anglais. Mieux encore. Le jeu non « décompressé » de Leeds n’était pas télégénique. Certes, Hardaker était un adversaire du petit écran, mais vers la fin des années 60’s et au tout début des années 70’s, la télévision à travers l’émission du Big-Match sur ITV animé par Brian Moore commençait à faire du football un spectacle de première importance. Alan Hardaker possédait un ego surdimensionné tout comme Don Revie. Les deux hommes furent incapables de surmonter leurs différents, mais c’est l’UEFA qui se chargea de tuer Leeds United.
Les dirigeants de l’UEFA rebuté par ce club aux accents prolétaires emboîtèrent le pas d’Hardaker. Le faible qui bat le fort par l’intelligence, la technique et la virilité est une vision qu’il fallait empêcher de se propager au plus vite. L’UEFA bras armé de l’UE et de l’OTAN à soutenu les clubs représentatifs des bourgeoisies des grandes capitales de la finance et de l’industrie de la mode. Totem de l’occident capitaliste mondialisé. Aucune pitié pour les clubs de province. Zurich a laissé faire à Salonique et a réglé le compte d’une formation orpheline de son manager à Paris. Fin de l’histoire.