Odyssée : Lamar Hunt I/III

Une famille en or

Dimanche 2 février 2020, les Kansas City Chiefs remportent le Super Bowl, le deuxième de leur histoire au bout d’une partie âprement disputée. Les Chiefs disposent des San Francisco 49ers sur la marque de 31 à 20. C’est une victoire logique. Elle consacre un groupe de joueurs performant et son entraîneur expérimenté Andrew Reid, enfin titré. Au moment de la remise du trophée Vince Lombardi aux vainqueurs et suivant le protocole à la lettre, le propriétaire de la franchise du Missouri Clark Hunt, fils du milliardaire Lamar Hunt fondateur de la franchise soixante-ans auparavant, s’avance et brandit le trophée…

Difficultés

Vouloir consacrer une étude à Lamar Hunt, sa vie et son action dans le monde du sport professionnel à travers quelques textes n’est pas chose aisée. Lamar Hunt fils d’HL Hunt, c’est ouvrir un chapitre central de l’histoire du capitalisme américain au XX siècle. Un pan d’histoire qui reste dans la pénombre, le tout dû à une léthargie volontaire et confortable empreinte d’ignorance de ceux qui ont le devoir de transmettre la connaissance. Aborder l’odyssée de Lamar Hunt, implique le fait de se pencher sur le rôle de sa famille, son père et ses frères dans la marche du pays et des relations Nord-Sud qui ont taraudé l’histoire politique, économique, industrielle et culturelle des États-Unis durant trois quarts de siècle…

Il était une fois Haroldson Hunt…

Un siècle plus tôt, Haroldson Hunt né à Ramsey dans l’état de  l’Illinois est un aventurier qui cherche à faire de bonnes affaires. Adolescent, HL Hunt grandit dans une grande ferme. Il ne va pas à l’école et étudie à la maison. Dans ses mémoires, Hunt expliquera que d’aller à l’école aurait été un barrage à la création de richesses. Grand, robuste, des yeux perçants et revolver, il ne passe pas inaperçu. Avec un peu d’argent, il réussit son premier coup dans l’État de l’Arkansas en  reprenant un domaine agricole en perdition. Il redresse l’affaire au point de se constituer un capital suffisant pour investir dans l’industrie pétrolière. C’est durant cette période qu’HL Hunt devient un homme du sud.

L’homme et la terre

Son exploitation détruite par des inondations, Hunt fonde une petite compagnie d’extraction pétrolière dans l’Arkansas dans l’espoir de toucher le jackpot. Hunt est un homme qui a une relation particulière avec la terre, il apprend peu à peu ce qu’il faut savoir sur la recherche en matière de pétrole. Malgré la découverte d’un puits, il n’est pas en mesure de s’émanciper. Ce n’est pas bien grave, HL Hunt est un as au poker. La légende raconte qu’il aurait gagné au jeu quelques concessions, de quoi constituer un capital solide…

En 1930. Hunt rachète pour 1 million de dollars une concession appartenant à Columbus Joiner, un wildcatter qui a découvert un gisement dans l’est du Texas. Âgé, Joiner préfère tirer un profit immédiat de sa découverte. Hunt s’endette et continue à forer aux alentour et met la main sur d’autres gisements. En quelques années, Hunt va de succès en succès. Marié et père de sept enfants, il devient vers la fin des années trente, l’homme le plus riche du Texas. Un État qui ne manque pas de millionnaire. En 1936, il créer plusieurs fiducies et transfère une grande part des actions de sa société au profit de ses enfants. Hunt est seul et unique actionnaire de sa société. HL Hunt développe sa compagnie et réinvestit son capital dans d’autres secteurs d’activités. Si on exclut les familles Rockefeller et Rothschild liées à la Reserve Fédérale, HL Hunt apparaît comme l’homme le plus riche des États-Unis, et ce, dès les années quarante…

Libertarien

Vers la fin des années quarante, Frank Tolbert journaliste au Dallas Morning News spécialisé dans le secteur alimentaire perce le secret Hunt. Tolbert est mis au courant que Hunt cherche à faire l’acquisition d’une station thermale. Le journaliste  tuyaute le tycoon texan sur une propriété au Nouveau-Mexique. Satisfait par le résultat, Hunt et Tolbert discutent à plusieurs reprises. Le reporter gagne peu à peu la confiance de l’entrepreneur le plus riche du monde. Tolbert découvre un homme solitaire, d’une discrétion et d’une simplicité absolue. Hunt est libertarien – ne pas confondre avec le libéralisme – au sens réel du terme. Un homme du sud qui milite pour la libre entreprise. Il est anticommuniste primaire et écarte les concepts de loges, réseaux et coterie, ce qui se traduit par un rejet visceral de la transposition politico-sociale des sociétés européennes sur le sol américain. Une réalité incarnée par les puissances d’argent du Nord. L’Amérique d’HL Hunt, c’est la route 66, pas Wall Street.

Hunt ne traîne jammais à son bureau à Tyler, situé à cinquante kilomètres de Dallas. Il en est de même quand il installe son quartier général  dans la tour de la First Bank National au 1401 Elm street, à Dallas. HL Hunt préfère le terrain. Il part des journées entières au volant de sa voiture, sans garde du corps, avec un petit sac de papier qui contient son déjeuner. Des journées à faire le tour de ses installations pétrolières à l’écoute du moindre cadre, ingénieur et ouvrier de sa compagnie, à blaguer et jouer au poker et à d’autre jeu avec ses employés durant les pauses. Hunt gardera cette ligne de conduite, jusqu’à la fin de sa vie.

Numéro 1

Après la fin du deuxième conflit mondial, l’accession d’HL Hunt au sommet du classement des plus grandes fortunes du pays ne passe pas inaperçue. Les Oilmans du Texas avaient mauvaise réputation. Ceux de Dallas flirtaient avec l’illégalité en permanence. Pour Washington, ceux de Houston étaient à peine plus « acceptables ». Des bâtisseurs sulfureux à l’image de William Lee, de l’aviateur Howard Hughes et du flamboyant « Diamond » Glenn McCarthy incarné à l’écran par le jeune James Dean dans le film Geant. À plusieurs reprises, Jesse H. Jones homme d’affaires de Houston puis secrétaire d’État au commerce sous Roosevelt plaidera tant bien que mal la cause de ses nouveaux industriels richissimes du Sud auprès de son président. HL Hunt incarnait par sa réussite et sa fortune un Sud renaissant sur le plan industriel, économique et idéologique. Chose que l’establishment ne pouvait admettre. Or, défier le Nord faisait partie intégrante de la ligne directrice d’HL Hunt. C’est dans ce contexte que Lamar, dernier né de la famille vient au monde en 1935. Adolescent, il se démarque de ses frères Haroldson « Hassie », Nelson-Bunker et William-Herbert. Il affiche un grand intérêt pour le sport. Passionné de Football et de Baseball, il joue assidûment au collège et à l’université. Adulte, il intègre les pétroles Hunt, néanmoins, le football retient toute son attention…

Révélation

C’est durant les années trente qu’HL Hunt s’implique dans le domaine politique. Sa conduite l’amène à soutenir l’ex-gouverneur de Louisiane et sénateur Huey Long dont il devient un ami. Long est une sorte de socialo libertarien, il incarne les valeurs du Sud au sein du parti démocrate. En 1935, il se déclare candidat à la présidence devant quelques partisans. Déterminé, il est prêt à affronter Roosevelt président en exercice dans le cadre d’une primaire au sein du parti. Quelque temps après, Long est abattu à Bâton Rouge dans les couloirs du Capitole de l’État de Louisiane, dans des circonstances qui reste encore à ce jour, suspectes. Ce n‘est plus un secret, Roosevelt et ses soutiens étaient habités par l’angoisse d’affronter le bravache et populaire Huey Long. Ce dernier n’aurait fait qu’une bouchée du brahmane, locataire de la maison blanche. Pour Hunt c’est une révélation. Ce que le Nord est prêt à faire pour conserver sa prédominance sur le Sud. Peu après, Roosevelt ira à la rencontre de ses nouveaux riches, séjournent sur une île au large de Corpus Christie acheter par Sid Richardson et Clint Murchison sr, oilmans de Dallas, le tout sous la bienveillance de Jesse H Jones, mais sans la présence d’HL Hunt.

Binôme

La famille Hunt fonctionne en binôme. Les aînées, Margaret et Hassie, puis Nelson et William, enfin, Caroline et Lamar. Durant les années quarante, Margaret et Hassie codirigent l’empire au côté de leur père. Hassie est encore bien plus doué que son père pour trouver les zones qui referment l’or noir et le gaz dans tout le sud du pays. Toutefois, un nouveau drame survient dans la famille. Après la perte de Lyda né en 1925 et morte un mois plus tard, Hassie tombe malade. Atteint de schizophrénie, il subit une lobotomie. L’opération se passe correctement. L’aîné des frères Hunt retrouve ses capacités, mais il souffre de trouble de la mémoire récurrent. Hassie diminué se retire de la marche des pétroles Hunt. Il reste  conseiller auprès de sa sœur concernant leurs affaires communes tout en restant le plus souvent muré dans ses maisons de Dallas et Colorado Springs. Le retrait du duo Margaret-Hassie, propulse le binôme Nelson-William sur le devant de la scène. Lamar quant à lui poursuit son chemin. En 1955, la mort de Lyda épouse d’HL Hunt change les choses dans la famille. Peu de temps après, le patriarche se remarie. HL Hunt épouse en secondes noces sa secrétaire dont il a eu quatre enfants. Margaret et Hassie avaient appris l’existence de la double vie de leur père vers la fin des années trente. Après maintes disputes, les frères Hunt restent proches de leur père, néanmoins, ils s’émancipent et fondent leurs propres sociétés.

Le créateur

En 1958, Lamar pense à sa propre émancipation. Il sonde les propriétaires des Chicago Cardinals dans le but de racheter la franchise pour la transférer à Dallas. La réponse des actionnaires est non ! Aucunement refroidie par cet échec, Hunt se met en relation avec les responsables de la NFL et dévoile son plan B qui est de créer une franchise d’expansion à Dallas. Une idée soutenue par son père qui est un passionné de football. Entre-temps, Lamar se marie avec Rosemary Carr, une ancienne camarade de classe qu’il a connue à l’université. Au même moment, un autre projet prend corps. Clint Murchison Jr, fils d’un des amis d’HL Hunt se lance dans le désir de monter une équipe à Dallas dans le but d’intégrer la NFL…

Escarmouches

Après bien des échanges avec les dirigeants de la NFL, Lamar Hunt décide d’arrêter les frais. Il comprend que le projet conçurent défendu par Clint Murchison jr et son bras droit Tex Schramm semble plus intéresser les gens de la NFL, bien que le très influent Preston Marshall, propriétaire des Washington Redskins s’oppose à ce qu’une franchise s’installe à Dallas. C’est oublié qu’une première tentative avait échoué huit ans auparavant. Après une conciliation entre Marshall et Murchison jr, le projet d’une équipe à Dallas est entériné. Les Dallas Cowboys intègrent la NFL. Déçu, Lamar Hunt se tourne vers des connaissances et entreprend l’idée de créer une ligue concurrente à la NFL. C’est un acte irraisonné vu la position qu’occupe la NFL dans le monde du football professionnel et du sport américain à cette époque. En fait, Hunt ne peut étouffer son caractère de créateur et de frondeur que lui a inculqué son père. Par le passé, deux ligues rivales à la NFL ont mordu la poussière. La première dans les années trente fait faillite assez rapidement. Au passage, la NFL récupère la franchise des Rams basée à Cleveland. La deuxième apparaît en 1946 et résiste durant quatre saisons. Malgré la faillite de cette ligue, trois franchises sont récupérées par la NFL. Les San Francisco 49ers, les Cleveland Browns et les Baltimore Colts. Ces derniers cessent leurs activités la saison suivante. Toutefois, les Baltimore Colts réapparaissent en NFL, trois ans plus tard.

Un ami et le reste…

Hunt persuade Bud Adams, un ami qui opère dans l’industrie pétrolière de l’accompagner dans ce qui est une aventure. Bud Adams fonde la franchise des Houston Oilers. La suite est plus dure. Hunt va de contact en contact, mais rien de concret. Après bien des refus, il finit par convaincre plusieurs investisseurs. Boston, New York, Denver, Oakland, Dallas, Houston, Buffalo et Los Angeles sont choisies pour accueillir les huit franchises. L’affaire fait grand bruit, néanmoins, les gens de la NFL abordent un large sourire face à cette initiative du jeune Hunt. Les villes de Houston et San Diego sont sélectionnées pour abriter les finales de l’AFL.

La bataille de Dallas

Lamar Hunt, choisit le seul stade viable de la ville pour faire jouer son équipe, le Cotton Bowl. Tex Schramm fait de même pour les Cowboys. Ainsi commence la bataille de Dallas. Rouge et blanc pour les Texans, bleu et blanc pour les Cowboys. Malgré des tensions entre les deux parties, un accord est trouvé pour que chaque équipe évolue à tour de rôle au Cotton Bowl. Chacun fourbit ses armes. Kermesses, parades dans les rues de Dallas, tout est bon pour attirer le public local. Texans ou Cowboys, il faut choisir !  Hunt à recruter un coach universitaire, Hank Stram dont il a fait la connaissance quand il était en poste à l’Université méthodiste de Dallas. Hunt et Stram ont une approche similaire du jeu. La première saison des rouges ne laisse rien entrevoir. Les Texans et les Cowboys affichent des assistances voisines bien qu’a l’avantage de la franchise NFL, mais encore éloignées du football universitaire. Les Houston Oilers remportent les deux premiers titres de l’AFL en disposant des Chargers qui passe de Los Angeles à San Diego…

Duo

Le bilan au bout de deux années est mitigé. Certains propriétaires de clubs se retirent et cèdent leurs participations à de nouveaux investisseurs. Hunt ne s’inquiète pas. Il travaille en coulisse à mieux vendre la ligue aux diffuseurs télé. Hunt à la satisfaction de voir émerger à ses côtés Ralph Wilson, propriétaire des Buffalo Bills pour mener l’AFL vers les sommets. Hunt avait remarqué lors des négociations pour implanter une franchise à Buffalo que Wilson, qui voulait Miami, était un homme compliqué en affaire. Wilson monte aux créneaux et met en garde ses condisciples sur les dépenses inutiles, et appelle ses amis à mieux vendre leur équipe.