Naissance d’un phénomène
Mai 1962, en Allemagne. Dans le cadre des 1000 kilomètres du Nürburgring comptant pour le compte du Championnat du monde des voitures de sport, l’ensemble des grosses écuries est présent.
Parmi les candidats, le team privé britannique de John Ogier, préparateur de longue date chez Aston Martin, aligne une Lotus, type 23, piloté par les jeunes Jim Clark et Trevor Taylor. Colin Chapman, patron de Lotus trop absorbé par le programme F1 a confié la voiture à l’équipe de John Ogier. Enfin, Chapman a cédé au Walker Racing, deux autres T23.
Les deux pilotes du team Lotus sont inexpérimentés dans ce type de grande épreuve, et Jim Clark qui n’est pas encore un champion hors catégorie vient de remporter son premier Grand Prix à Spa Francorchamps.
Ferrari et Porsche sont favorites de cette course. Chaque constructeur a dépêché une armada de voiture. En fonction de groupe propulseur de cylindrée inférieure, Lotus, ainsi que le reste des autres candidats, semble condamnée à faire pâle figure durant le week-end.
Durant les essais, la tendance se dégage en faveur des favoris. Les inévitables Phil Hill et Olivier Gendebien signent le meilleur temps sur leur Ferrari 246 SP. Jim Clark et sa Lotus, rentre dans le top dix sans faire d’éclat. Le jour de la course, il fait un temps pluvieux sur la Nordschleife, cependant, plus de 100 000 personnes se sont agglutinées dans les tribunes et autour du circuit.
La chevauchée fantastique
Alors que le départ est donné, une petite boule verte bondit comme une fusée et aborde en fin de ligne droite la grande boucle en tête. Le jeune Jim Clark vient de réussir un coup d’anthologie. Pourtant, les observateurs et les spectateurs ne donnent pas chère de la peau du jeune écossais…
Le premier tour n’est pas encore terminé, que Clark compte une dizaine de secondes d’avance sur ses poursuivants. Après un premier tour complet du circuit allemand long de 22 kilomètres, le jeune écossais a encore augmenté son avance, il coupe la ligne d’arrivée avec 27 secondes d’avance sur la Porsche de Dan Gurney qui précède les Ferrari de Hill/Gendebien et de Mairesse/Parkes, et la Porsche 718 de Graham Hill et Hans Herrmann. Les quatre ont beau forcé l’allure, la petite Lotus disparait…
L’écossais pilote sans retenue, survole chaque portion du circuit avec une maestria qui laisse sans réaction la foule. Les professionnels de la presse sont médusés. Certains pensent que cela ne va pas durer. La T23 est propulsée par un moteur Cosworth Mk.X 1,5 litre. La légèreté de la T23, couplé à son petit moteur et un châssis adapté, donne une excellente traction et tenu de route à la T23, le tout additionné au pilotage du jeune écossais en état de grâce.
Seul au monde…
Tour après tour, Jim Clark passe devant la ligne droite des stands, attaque la grande boucle qui le ramène derrière les stands puis tourne vers la gauche et plonge dans la forêt. Cette fois, les journalistes et tous les observateurs comprennent qu’ils sont en train d’assister à quelque chose d’unique. L’éclosion d’un champion hors catégorie. Le phénomène est né…
Après dix tours, l’avance a encore grandi, ça commence à sentir l’humiliation pour Ferrari et Porsche. Cependant, le tour suivant et pour la première fois, Clark n’accentue pas son avance. Lors de son dernier tour, avant de céder le volant pour un premier relais à son coéquipier Trevor Taylor, moins rapide que lui, Clark sort de la piste et endommage sa voiture au point de devoir abandonner. Lors du onzième tour, un collecteur d’échappement du moteur quatre cylindres de la T23 se désosse. Clark ne fait pas trop attention au problème, mais les gaz d’échappement commencent à se répandre dans le cockpit de la voiture. Le jeune écossais pense pouvoir boucler son dernier tour puis réparer la panne au stand si c’est possible, mais les vapeurs toxiques finissent par l’étourdir, mettant ainsi fin à sa chevauchée fantastique.
Naissance d’un phénomène
Jim Clark avait impressionné son assistance lors de sa première victoire en Belgique. Néanmoins, beaucoup de spécialistes de la presse internationale s’étaient évertués à relativiser son succès, obtenu avec une voiture révolutionnaire, la T25 et son châssis monocoque. Leur argument était plus que recevable. Dans le cadre de cette course, il s’agissait de toute autre chose. La Lotus T23, était loin d’être en capacité de pouvoir rivaliser avec les Ferrari et Porsche. La cavalcade du jeune pilote écossais à tout à coup changer la donne et le regard de tous les observateurs sur la valeur du protégé de l’écurie Lotus.
La performance irréelle de Clark ne passe pas inaperçue chez Ferrari et d’autres constructeurs. Alors que Lotus arrive au Mans, les officiels déploient toute une myriade de détail technique pour invalider la T23. Chapman est furieux, les grands constructeurs ont fait pression sur les organisateurs du Mans pour empêcher Clark et sa petite T23 de courir. Le patron de Lotus est ulcéré à un point où il proclame qu’il ne viendra plus jamais au Mans, une course qu’il aime profondément. Il tiendra parole.
Vice
Les peurs de Ferrari et Porsche étaient infondées. Clark avait briller sur le circuit germanique, car pourvu de pentes, de descente, de multiples virages, lents, rapides, un tracé naturel qui collait avec les qualités naturelles du pilote écossais qui n’avait pas trop souffert du manque de chevaux de sa voiture. Or, le tracé du circuit du Mans était différent et inadapté pour une voiture manquant de puissance. Avec ses longues lignes droites, la petite Lotus n’avait aucune chance de faire un résultat. La disqualification visait en fait à pousser Colin Chapman à renoncer à faire courir la T23 dans les autres épreuves comptant pour Championnat du monde des voitures de sport. Paris gagné pour les géants.