Mélancolie romaine

Mélancolie romaine

Durant les années quatre-vingt, le virage Sud du club de l’AS Rome est le symbole du mouvement ultra. Le CUCS, le commando ultra de la curva sud né de l’initiative de jeunes supporteurs pour unifier le virage Sud en 1977 est le groupe de supporters le plus réputé en Europe. Les Romains prennent exemple sur le groupe Ultra Granata du club de Torino, mais ils rajoutent une touche politique à leur entreprise. Le CUCS sous la férule de son jeune leader “Geppo“ grave dans le marbre les commandements ultra et déclare la guerre à ceux qui veulent imposer à terme le  “calcio moderno“, un football qui découle directement d’une politique néolibérale. Les tifos romains font l’admiration de tous les supporters du vieux continent ou le phénomène ultra d’un type pharisien se repend en masse…

De nos jours, le virage Sud du stade olympique de Rome offre le même panorama à chaque rencontre. Il n’y a guère d’animation dans le virage Sud. Quelques drapeaux accrochés aux entrées du virage témoignent du passé, d’une époque révolue et perdue à jamais…

Le début de la fin

Été 1987, les dirigeants du club romain décident d’engager Lionello Manfredonia, ex-joueur de la Lazio et de la Juventus. Suite à cette annonce, les supporteurs se divisent sur la question de savoir si Manfredonia est digne de porter le maillot de la Roma. L’unité du virage vole en éclat au point ou quelques mois plus tard, une rixe éclate entre pro et anti Manfredonia, traduisez, entre ceux restés fidèle à l’idéal ultra et ceux qui l’ont trahit.

Milan, juin 1989. Le club du Milan accueille pour le compte de la trente et unième journée de championnat l’AS Rome. Comme chaque année un groupe de supporteurs du club romain fait le déplacement vers la grande métropole lombarde. Arrivée en gare de Milan, l’ensemble des fans se réunit et discute pour savoir où ils vont déjeuner. Parmi eux, quatre supporteurs romains décident de se séparer pour rejoindre directement le stade de San Siro.

L’arène milanaise est en travaux en vue du Mondial qui doit se dérouler douze mois plus tard. Alors qu’ils sont aux abords du stade, un homme les apostrophe et leur demande une cigarette. Les quatre amis sont trahis par leur accent romain. Quelque seconde plus tard, surgit derrière un mur, une trentaine de jeune et moins jeune supporteurs du Milan. Les quatre amis partent en courant, mais l’un d’eux Antonio dérape ou est victime d’un croche-pied. C’est trop tard, le malheureux n’a pas le temps de se relever, la trentaine de voyous se déchaîne sur lui.

Un détachement de carabiniers non loin de la scène arrive sur les lieux de l’agression. Les voyous détalent rapidement. Antonio semble pouvoir se relevé, cependant, il saigne et commence à suffoquer, il s’effondre dans les bras d’un carabinier qui entreprend un massage cardiaque. Le jeune supporteur est  transporté à l’Hôpital San Carlo à bord d’une ambulance, mais c’est trop tard, Antonio de Falchi est mort, il était âgé de 19 ans.

La police fait son enquête et plusieurs personnes sont arrêtées. Le meneur est formellement reconnu par les témoins de la scène, il s’agit d’un membre du groupe “Brasato”, une cellule obscure qui vivote dans le virage nord-milanais entre les groupes reconnut “Fossa del Leoni” et “Brigate Rossonere”.

Les funérailles du jeune Antonio ont lieu à l’Église de San Giovanni Leonardi, à Torre Maura, en présence d’une dizaine de milliers de personnes et la totalité du club romain, joueur et dirigeant.

L’autopsie du corps d’Antonio révèle que le décès aurait été causé par un infarctus, les médecins légistes sont incapables d’établir avec exactitude si les coups portés envers le jeune Antonio ont entraîné la mort, car il souffrait d’une légère malformation du cœur. Une chose est certaine, le jeune romain a été agressé sauvagement par une trentaine de voyous, outre les coups violents, la peur a aussi contribué à tuer le jeune Antonio.

Antonio était un brave jeune homme, il était fier du maillot que lui avait offert Sebastiano Nela emblématique latéral droit de la Roma. Étudiant, il avait commencé à travailler comme serrurier, il pouvait suivre sa « fiancée éternelle » à l’extérieur et Milan constituait une étape incontournable.Les trois prévenus sont rapidement jugés. Le meneur de la bande est condamné à sept ans de prison et cinquante millions de lires de dommages et intérêts, néanmoins, il bénéficie d’une remise en liberté immédiate et peut reprendre son métier de postier, quant aux deux autres accusées, ils sont acquittés du fait d’un manque de preuve. Le verdict plonge la famille du jeune Antonio dans le désarroi.

Répression

Le temps est à l’orage, le virage Sud est incapable de se ressouder après ce drame, les divisions sont multiples. Le mouvement ultra se décompose inéluctablement face aux attaques incessantes qu’il subit, la mise au pas des tribunes a été décrétée en haut lieux. Le virage Sud vacille, infiltré et miné par des groupes d’extrémistes mandatés par le pouvoir, des pickpockets et des vendeurs de drogue en tout genre. La rénovation du stade olympique en vue du mondial 1990, accouche d’une enceinte aseptisée et couverte, le soleil est parti, s’en ait fini des années magiques, rien ne sera plus comme avant…

Prosternation et dépression

Bien que le Calcio ait été secoué à plusieurs reprises par la violence, la disparition d’Antonio plonge les supporteurs romains dans une longue prosternation. Point de vendetta, seulement une peine immense qui mute en dépression suite aux disparitions successives des « storico » de Giuseppe Pucci « Geppo » jeune leader emblématique du CUCS et du virage Sud, de Roberto Rulli, jeune leader du groupe Fedayn qu’il avait fondé à l’âge de treize ans, du président Dino Viola constructeur de la Magica Roma, de l’ancien capitaine Agostino Di Bartolomei. « Diba »se donne la mort avec un pistolet, une photo du virage Sud dans sa main, dix ans jours pour jours après la défaite subit par la Roma face à Liverpool en finale de la coupe d’Europe des clubs champions, d’autres supporteurs du virage succombent pour la plupart à certaines drogues très en vogue à cette époque, quant au père d’Antonio, il se suicide, incapable de surmonté la disparition de son fils, tous victime de la « romanita », un sentiment mêlé de romantisme, d’humour, d’exaltation, d’impuissance, de tristesse et de mélancolie profonde…

Idéalisme

Comme pour les cousins laziales dix ans auparavant, le rêve est passé, celui d’une génération et d’une équipe qui voulait tout casser, en finir avec un football imposé par les puissants au point de passer à une encablure d’un triplé historique qui aurait fait sauter tous les rapports de force qui taraude et meurtrisse le football italien. Cette Roma était un attelage de joueurs techniques, élégants tourné vers l’offensive dotée d’un système de jeu fort différent de leur adversaire, soutenu par la meilleure tifoseria d’Europe, opposé de manière radicale aux promoteurs du ”Calcio moderno”.

Pour certains, le football est lié au résultat, pour d’autres c’est tripale. Durant les années quatre-vingt-dix et deux mille, le virage romain et le club tout entier glissent vers la mélancolie. Le titre de champion d’Italie obtenu en 2001 n’arrange rien. De nos jours, les deux clubs romains vivent dans l’attente que le soleil revienne un jour.