Madrid 66
Retour sur la sixième victoire du club castillan en Coupe d’Europe des clubs champions
Real Madrid-1966, José Araquistáin – Enrique Pérez Díaz « Pachín » – Pedro de Felipe – Manuel Sanchís – José Martínez Sánchez « Pirri » – Ignacio Zoco
Francisco Serena – Amancio Amaro – Ramón Grosso – Manuel Velázquez – Francisco Gento
Le Real Madrid est le club de football le plus titré du vieux continent. Son palmarès souvent cité par les adorateurs du club meringues, par les statisticiens de tous poils et les journalistes des médias institutionnels revient en boucle. La période des cinq coupes est mise en avance ou bien fait l’objet de critique venant le plus souvent de sécateurs acculturés. Les années deux miles ne dérogent pas à la règle avec les trois autres victoires obtenues par les coéquipiers de Sanchis et Raul et les dernières plus récentes. Curieusement, la sixième victoire acquise en 1966 par le Madrid en Coupe d’Europe n’éveille pas l’intérêt.
C’est pourtant et de loin l’un des rares exploits (son plus grand) que le club madrilène à réaliser dans la compétition reine. À cette époque le football espagnol fléchi en douceur malgré le titre de champion d’Europe obtenu par la sélection deux ans plutôt face l’URSS à domicile. Le football de club est privé de l’arrivée de joueur étranger, la Liga a été sommée de fermer ses portes aux joueurs non espagnols par l’État sous prétexte que la présence massive d’étrangers condamne à terme l’éclosion des joueurs locaux, en somme un vieux débat.
Champion d’Espagne lors de la saison 1964-65, le club madrilène dispute une nouvelle fois l’épreuve reine du football européen. Le Madrid n’est pas donné favori, c’est une équipe en pleine mutation et l’Inter de Milan se pose en candidat à sa propre succession. Le premier match contre le Feyenoord jouer à Rotterdam est épique, c’est une rencontre émaillée par de nombreux incidents, Ferenc Puskas gratifie l’assistance de son ultime prestation sur la scène européenne, il devient joueur de réserve. Au deuxième tour, les Madrilènes disposent aisément du club écossais de Kilmarnock héroïque champion d’Écosse la saison précédente. Au printemps, le Madrid rejoint un adversaire face auquel il a mordu la poussière deux années auparavant. Le champion de Belgique Anderlecht emmené par Paul Van Himst est à deux doigts de sortir de nouveau les coéquipiers de Francisco Gento. Qualifié, le Madrid se retrouve dans une demi- finale explosive face à l’Inter de Milan.
L’Inter de Milan double champion d’Europe et intercontinental managé par Helenio Herrera préfigure ce que sera le football de demain. Le club Lombard de par son président et actionnaire principal, l’industriel Angelo Moratti est une entité sportive liée à la culture d’entreprise. Il en découle un système concentrationnaire sur le terrain, les joueurs sont privés de toute liberté, ils sont réduits à l’état de robot, seul le grand Facchetti arrière gauche jouit du droit à l’initiative, dans les coulisses le club milanais ne déroge pas à la règle de l’entreprise. Le médical sous la férule du docteur Angiolino Quarenghi est « soigné ». Les joueurs sont pris en charge à tous les niveaux. Moratti vient de créer avec son grand Inter. Le football-machinerie, un concept qui se dissémine peu à peu dans toute l’Europe. Face à cette modernité dévastatrice, le Real Madrid malgré ses assises et son palmarès fait figure de club dépassé. Ce Real Madrid – Inter de Milan, c’est l’Ancien Monde qui défie le Nouveau Monde.
La double confrontation respire le soufre. Bien plus tard le journaliste britannique Brian Glanville révélera la façon dont les dirigeants milanais ont tenté de corrompre l’arbitre hongrois désigné par les instances de l’UEFA lors de la rencontre disputée au stade de San Siro, une pratique répandue chez les trois gros clubs du nord de l’Italie. C’est un Real Madrid gonflé à bloc qui obtient sa qualification, bien regroupée en défense, alternant le jeu court et long, les onze Madrilènes perturbent suffisamment la machine milanaise pour la tenir en échec sur l’ensemble des deux confrontations. Ce Real Madrid malgré la présence de très bons joueurs était inférieur en valeur intrinsèque à l’inter Milan, au Partizan Belgrade et à Manchester United. Ce titre acquis avec une équipe sans réelle spécificité et sans créativité reste à ce jour la meilleure performance accomplie en coupe d’Europe par le club madrilène.
Ce Madrid offrait un visage contraire à ce qu’il avait diffusé par le passé et de nos jours. Un Madrid composé de onze joueurs espagnols, sans grande vedette, antithèse des formations victorieuses par le passé. Un Madrid qui n’incarnait pas les besoins voulus par la toute nouvelle société du spectacle de plus en plus omniprésente au sein du football européen. Ce Madrid non cosmopolite à forger avec le temps une forme de dédain de la presse internationale envers cette équipe du Madrid vainqueur pour la sixième fois de son histoire de la Coupe d’Europe des clubs champions gagnant au passage le droit de garder le trophée authentique à jamais.