Le Roi et les dettes du Madrid
Les légendes urbaines alimentent depuis toujours l’actualité football. Une des plus célèbres concerne l’ex-roi Juan Carlos et des relations étroites qu’il entretenait avec les dirigeants du Real Madrid. Selon les adversaires du club meringue, le Roi avait tendance à rayer d’un trait de plume les dettes du Madrid auprès des banques ibériques quand celles-ci devenaient trop élevées. C’est toujours le cas avec Felipe VI, cela va de soi. Ses accusations ont toujours été relayées par les médias hexagonaux sans la moindre interrogation. Face à cet océan d’ignorance et de bêtises, le moment est venu d’apporter des éclaircissements.
Pour information, je ne suis pas madridiste et encore moins barceloniste !
Mario Conde à la tête du Banesto vers la fin des années 80
Les années fric
Les années quatre-vingt sont très agitées en Espagne. Le monde des affaires est en ébullition, car le PSOE au pouvoir après avoir acheté la tranquillité des syndicats ouvre toutes grandes les vannes de l’ultralibéralisme. Au milieu de la mêlée surgit de multiples hommes d’affaires dont un certain Mario Conde. Ce jeune des hautes écoles fourbit ses armes dans l’industrie pharmaceutique et rencontre Juan Abelló, un richissime homme d’affaires qui devient son mentor. Abelló, initie le jeune Conde sur les rapports de forces qui taraude la société espagnole. Comme tout bon libéral, Conde s’en tient à la règle de quatre. Convoitise, acquisition, fusion et revente. Créature maléfique du capitalisme sans foi ni loi, il parvient à ses fins. Avec son associé, il réussit de multiples opérations et finit par revendre ses participations. Armée d’un beau pactole, il intègre la banque du Banesto « le Banco español de credito » un des établissements bancaires les plus réputés du pays. Mariano Rubio le gouverneur de la Banque d’Espagne à l’époque est hostile à l’intrusion d’Abelló et de Conde à la tête du Banesto.
Le mariage du Real Madrid et de Dorna
Durant cette période le club présidé par Ramon Mendoza* s’engage avec la société Dorna pour la gestion et le marketing du club madrilène pour une durée de vingt-cinq ans. Quelque mois avant cette transaction, le Banesto rachète 40 % de cette société fondée par les frères Carlos et Manuel Garcia Pardo. Lors des premières auditions concernant l’affaire du Banesto, il apparaît que la société Dorna a été acquise bien au- delà de sa valeur réelle d’où la naissance d’une action suspecte aux yeux de la justice espagnole, car Dorna se trouve dans une situation plus que délicate, l’accord passé avec le Real Madrid ne résout rien et plonge le club meringue dans des difficultés supplémentaires. La firme japonaise Toshiba abandonne ses pourparlers avec le Madrid, quant à Franz Beckenbauer sollicité pour devenir le manager général du club blanc, il repousse de manière diplomatique l’offre de Conde et Mendoza.
Ramon Mendoza et l’entraîneur du Madrid Leo Beenhakker.
L’affaire du Banesto
En sport, le Banesto parraine une équipe de cyclisme dont Miguel Indurain est le fleuron. Au début de son règne à la tête du Banesto, Conde met en échec une OPA de la banque Bilbao pilotée par le gouvernement espagnol sur le Banesto. Compulsif en matière d’achat, «el Gallego gominado», saute sur tout ce qui bouge. Chaînes de télévision, journaux, immobilier, le golden boy transforme, tout ce qui touche en or. La banque Banesto possède un éventail de clients très diversifié. Drogué par sa réussite, Conde traite avec JP Morgan pour augmenter le capital du Banesto. En échange, il accroît sa participation sur le Banesto et devient un patron sans la moindre opposition. Conde très intéressée par la politique, compte jouer un grand rôle dans le futur. Il critique la vision macroéconomique de ses adversaires, il pense au poste de Premier ministre.
C’est à ce moment-là que commencent les ennuis de Conde et sa chute brutale à terme. Comme suite à plusieurs opérations risquées et vues l’étendue des découverts de la banque, l’establishment effrayé par la nature de Conde décident de liquider ce dernier. Tous les partis politiques y compris les indépendantistes basques et catalans font cause commune dans cette affaire. L’État à l’affût intervient et met le Banesto sous tutelle le 28 décembre 1993. Conde se défend en arguant que le Banesto allait être recapitalisé à hauteur de 1,1 milliard de dollars alors que la banque devait faire face à une dette globale de 3,2 milliards de dollars. Conde accuse le gouverneur de la banque d’Espagne de chantage. En échange de la vente de ses actions et de son départ du Banesto, toutes les poursuites contre sa personne et la gestion de la banque sont abandonnées en cas d’accord. Dans une suite de procès sans fin, Conde est accusé de détournement de fonds et fait un long séjour derrière les barreaux. C’est la fin pour « el conquistador ». Durant sa période d’emprisonnement, il fait la connaissance de Julian Sancristobal ancien patron des services secrets et semble-t-il créateur du GAL. Sancristobal balance à Conde un nombre important de secrets d’Etat et plusieurs informations sur son propre compte provenant de la fameuse société américaine de renseignement Kroll.
Le roi raye les dettes
Il n’y a pas de bon et de méchants dans ce type d’affaires, Conde grisé par sa réussite était devenu dangereux pour l’ensemble de l’échiquier politico-financier et ce dernier était loin d’être un homme préoccupé par le bien commun. En face cela ne vaut guère mieux. Collusion d’intérêts et petits arrangements entre amis. Malgré le passif de Conde, on peut-être enclin à éprouver de l’empathie envers une personne livrée à la vindicte populaire par les acteurs de la haute finance. L’affaire devient un scandale national. Après une réorganisation et une recapitalisation du Banesto, le roi Juan Carlos signe un décret sous la pression de toutes les parties intéressées pour aplanir tous les différends. Les grandes sociétés qui avaient contracté des prêts au Banesto ainsi que les partis politiques voient leurs dettes annulées. Parmi les heureux bénéficiaires de cette amnistie générale se trouve le club madrilène.
Cet acte ne passe pas inaperçu même si Juan Carlos était bien plus préoccupé à satisfaire dans cette opération tous les tenants, partis politiques et patrons de grandes sociétés bien plus qu’un club de football fut-il le Madrid et une société spécialisés en marketing. Par la suite, le Real Madrid n’a plus jamais eu l’occasion d’obtenir une telle faveur. Les tractations concernant la vente de la cité sportive en plein centre-ville ont été menées avec la mairie de Madrid.
Résurgence
Récemment, la banque Santander a fini par absorber en totalité le Banesto. La marque Banesto va disparaître, quant à Mario Conde, après vingt ans de démêler avec la justice espagnole, il a refait surface. Après sa chute Conde s’est retrouvé seul, il perd sa femme victime d’un cancer et passe son temps à écrire des livres. Intéressés par l’achat d’un club de football, il a renoncé à ce projet. Diplômé en droit, il s’est fait remarquer dans une affaire récemment. Le FC Barcelone est poursuivi pour un partenariat en sponsoring qui n’a pas été honoré depuis une dizaine d’années, panneau géant sur l’un des bâtiments du club blaugrana. Conde, représentant la partie plaignante réclame 100 millions de dommages et intérêts au club catalan.
Réaction en chaîne
Depuis cette affaire, le football ibérique est rentré dans le tout libéral. En 1992, le parlement à majorité socialiste s’est prononcé en faveur de la destitution des clubs de football – le plus souvent omnisport – tenu par les associations de supporters – socios – afin de favoriser l’investissement privé. Ce qui s’est avéré une catastrophe. Seuls quatre clubs, le Madrid, le FC Barcelone, l’Athletic Bilbao et l’Ossasuna de Pampelune ont conservé leurs statuts.
Le scandale de la vente de la cité sportive
Vers le début des années 2000, le président en exercice Florentino Perez entame des pourparlers avec la mairie de Madrid dans le but de céder le terrain ou est construit le centre d’entraînement du club meringue. Perez veut beaucoup d’argent. Le deal est signé à hauteur de 330 millions d’euros. Les opposants à cette transaction considèrent que le prix déboursé pour acquérir le terrain est bien trop élevé. Certains pensent qu’il s’agit de renflouer les caisses du club. L’affaire ne s’arrête pas là. Une fois la cité sportive démolie, Perez obtient la requalification de l’espace disponible et le permis de construire pour édifier un ensemble de quatre tours de 50 étages. Le tout réalisé par sa société ACS. Le business n’attend pas.
Épilogue
Ainsi, le club du Madrid accusé à tort d’être subventionnée par le Roi d’Espagne, n’en demeure pas moins une entité sportive qui de par sa junte et son président utilise des méthodes amorales dans bien des domaines, la « central lechera » est bon exemple et fait régner une atmosphère irrespirable dans le monde du football. Tu dis oui ou tu t’écrases ! Tel est le mot d’ordre de la junte du club madrilène et son président.
*Alors qu’il souffrait, Santiago Bernabéu aurait qualifié Mendoza de fils de p…, obligeant certains cadres du conseil d’administration à jurer sur son lit de mort pour empêcher ce dernier et d’autres personnes d’accéder un jour à la présidence du club. Ses propos ont été rendus publics par le journaliste José Maria Garcia. Ce dernier a été poursuivi en justice par Mendoza pour diffamation. (2) Ramon Mendoza a présidé le Real Madrid de 1985 à 1995.
Ed Temas de Hoy – Los complices de Mario Conde / par Encarna Perez Garcia