Le Fronton Recoletes

Dans l’Espagne du début du vingtième siècle, la pelote basque fait figure de jeu national. Bien avant l’avènement du football en tant que jeu le plus populaire du pays, la pelote basque occupe un espace de choix dans la société. Les gens se rendent dans les frontons pour assister à des rencontres, ils peuvent aussi parier sur les matches.

Vers 1900, une multitude de frontons sont réalisé dans le pays. En 1920, Madrid compte une quinzaine de frontons, dont le fameux Beti Jai qui finit par être déserté à la fin des années vingt. En 1934, les responsables en charge de l’urbanisme de la capitale approuvent un nouveau projet de salle. Cette  construction reprend les contours classiques des frontons édifiés par le passé. Un mur qui fait face à une tribune, le tout couvert, mais le dessin de cette salle se veut dans l’air du temps. De style Art-Déco, elle est d’une beauté égalée à ce jour.

Le dessin est le fruit conjugué de l’architecte Secundino Zuazo et de l’ingénieur Eduardo Torroja. Zuazo a réalisé l’ensemble du projet, c’est un professionnel chevronné. Il confie le dessin de la toiture à Torroja qui est un spécialiste réputé dans le domaine des structures. Eduardo Torroja a réalisé avec l’architecte Manuel Sanchez-Arcas, la salle de marché à Algeciras et à terminer la réalisation de la couverture de l’Hippodrome de la Zarzuela de Madrid. Bien après, il conçoit la toiture du stade de Corts du FC Barcelone.

Secundino Zuazo

Eduardo Torroja

Le fronton est rapidement construit. Lors de son inauguration, il est célébré à sa juste valeur. Le fronton Recoletos est une petite merveille. L’ensemble mesure  soixante mètres de long et trente-trois mètres de large pour la partie intérieure. Il comporte trois niveaux de gradins. La toiture se compose de deux demi-cylindres, délimités par deux arcs asymétriques. Elle est réalisée en béton armé avec une épaisseur de 8 cm. Deux puits de lumière caractérisent la couverture de l’espace.  Deux ouvertures longitudinales formées de triangles équilatéraux couvrent la totalité de l’édifice. La première lucarne éclaire les tribunes et la deuxième la surface de jeu. La construction est orientée vers le nord, pour éviter aux joueurs d’être éblouis par le soleil.

Durant la guerre civile, le fronton subit des dégâts. Il est fragilisé, mais les autorités ne jugent pas nécessaire de faire les travaux pour consolider le bâtiment. Le réaménagement du fronton Recoletos n’est pas une priorité pour la mairie. Durant les années quarante, le Fronton abrite les rencontres de pelote basque et la section basket du Real Madrid.  Vers la fin des années quarante, Eduardo Torroja entreprend une étude complète de l’édifice et soumet à l’administration un plan de travail pour sauver le fronton. Les autorités font la sourde oreille. En 1952, les autorités ferment le fronton.

Eduardo Torroja n’appartient pas au courant internationaliste, ce qui le pousse à échanger avec des professionnels proches de ses idées. Il accepte l’offre de l’ingénieur tchécoslovaque Jaroslaw Polivka de venir travailler un temps aux États-Unis à Scotdalle en Arizona dans l’atelier de Taliesin, domaine de réflexion du grand architecte américain Frank Lloyd Wright. Torroja se sent rapidement chez lui au milieu de gens qui pensent l’architecte comme lui. Wright le congratule pour ses travaux et l’encourage à persévérer. Torroja participe ensuite à des projets initiés par Wright. Avec son ami Jaroslaw Polivka, il assiste le grand maître dans son ultime réalisation, le musée Guggenheim à New York.

Lors de nouvelles études effectuées durant les années soixante, le bâtiment fait apparaître des failles plus importantes. Par mesure de précaution, le fronton reste fermé. Secundino Zuazo présente un projet de réhabilitation de l’espace. Le fait de laisser l’édifice à l’abandon augmente le coût d’une éventuelle remise à neuf du fronton. La ville et l’État à travers la délégation nationale du sport – D.N.D – refusent toute forme de financement pour remettre en état le fronton. Eduardo Torroja décède en 1961 et Secundino Zuazo en 1971. Un jour de l’année 1973, ce qui reste de l’édifice s’effondre. Il ne reste pas grand-chose de ce qui fut le plus beau monument dédié au sport construit dans la capitale de l’Espagne. Les autorités en profitent pour raser le tout et la ville requalifie le terrain. Un immeuble d’habitation occupe désormais l’emplacement de ce chef d’œuvre imaginé et réaliser par Secundino Zuazo et Eduardo Torroja.