La photographie est un art par Joana Biarnés

Joana Biarnés a été la première femme espagnole à s’orienter vers une carrière professionnelle de photojournaliste. C’est en observant son père, photographe professionnel, qu’elle s’intéresse dès son plus jeune âge au monde de la photographie. Adolescente, elle s’initie à toutes les techniques dont celles pratiquées en laboratoire. Elle réalise ses premières photos sous les conseils de son père.

Premiers pas

Après des études de journalisme à Barcelone, la jeune photoreporter se voit fermer les portes des rédactions de presse. Aucunement découragée, elle décide de faire tandem avec son père et lors d’une rencontre de football de deuxième division, Joana rentre sur le terrain et se positionne derrière la ligne de touche. Le public masculin ne reste pas insensible, à la scène, et Joana Biarnés essuie une série de quolibets. L’arbitre, interloqué par la scène, s’approche de la jeune femme et l’invite a quitté la pelouse. Biarnes riposte et brandit son accréditation. S’ensuivent quelques palabres, finalement, Biarnes obtient gain de cause.

Machisme à terre

Le machisme est une vue d’esprit imposé par le regard des anglo-saxons sur le monde latin. Ces derniers, jamais avare en matière d’hypocrisie, ont brillamment remplacé le terme de machisme par celui de conservatisme dans leur pays quand il s’agit d’aborder le rôle mineure de la femme dans les sociétés du XX siècle. Il en est de même pour le reste. Cette litanie, relayée par la voix du gauchisme institutionnel qui prévaut en Europe est rentrée dans toutes les têtes et tient lieu de référence dans l’ensemble des sociétés du monde occidental.

Journal

C’est durant cette période que la jeune photographe intègre un journal, la  Tarrasa Información  une publication éditée en Catalogne par des membres de la Phalange  animé par une direction  “non opposée” au pouvoir franquiste.

Le parti de la phalange, mouvement polymorphe nationaliste de troisième voie  a toujours été une problématique sans fin pour le régime franquiste. Créée en 1933, piégé par l’enchainement des évènements de 1936, et bien qu’antifranquiste, la phalange se retrouve aux côtés des forces nationalistes du fait de son anticommunisme affirmé. Ses leaders morts, elle n’est plus qu’une organisation politique infiltrée et minée de l’intérieur par l’appareil franquiste. Sa désintégration acté, Franco est tenté de dissoudre le parti, puis, il se ravise.

Le caudillo récupère le nom, l’hymne, les couleurs,  le martyr José Antonio Primo de Rivera et malgré des idées reçues, rejette en grande partie le programme du parti et incorpore la nouvelle phalange dans le Movimento. Ce qui reste des phalangistes vivants fidèles à leurs idéaux sont fusillés ou menacés de mort. Quelques-uns préfèrent adopter une position ambivalente, d’autres fuient à l’étranger, enfin, certains préfèrent servir le régime. Un nombre conséquent de phalangistes présents à l’origine dans le domaine de l’imprimerie et du journalisme se coule dans une forme de clandestinité.

Changement

La Tarrasa Información voit le jour en 1939. Après maintes fermetures et reprise sous d’autres patronymes, la publication prend son envol au tout début des années cinquante. Le renseignement n’est pas dupe. Pourtant, une forme de laisser faire venant de Madrid s’installe. C’était pour le régime un moyen efficace de contrôler les oppositions clandestines dans la presse. La publication fait preuve de polymorphie et ouvre ses pages à un tas de critiques, et d’écrivains qui ne sont pas en phase avec le régime. 

C’est dans cette atmosphère que Biarnés débarque au sein de la Tarrasa. Elle fait ses gammes au sein du journal et couvre un tas d’évènements public en Catalogne et dans le pays.

Emancipation

Peu après, Biarnés se lance dans une série d’études portant sur la société espagnole et la condition de la femme. Muni de ses modèles favoris dont des appareils Kodak, Rolleiflex et Leica. Biarnes travaille pour plusieurs revues. Cependant, elle n’oublie pas le sport, et couvre un tas de manifestation et continue à suivre le football.

Marié au journaliste français Jean-Michel Bamberger, la vedette du monde de la photographie est fascinée par l’expression du guardameta, le gardien de but. Elle scrute sans cesse la bonne expression au point de réaliser des clichés uniques en leur genre.

 Les quatre de Liverpool

En 1965, elle se rend au concert des Beatles à Madrid, puis, elle contacte un ami chez la compagnie aérienne Iberia. Elle obtient un billet et accompagne les quatre de Liverpool pour la représentation qu’ils doivent donner à Barcelone. Durant le voyage, Biarnes sympathise avec le groupe. Elle réalise quelques photos puis rejoint McCartney et ses amis à l’hôtel. Là, elle réalise quelques clichés qui sont depuis rentrés dans l’histoire du groupe de Liverpool.

Biarnés acquiert un tel prestige que les plus grandes vedettes du show-business qui déboule à Madrid et Barcelone passent par elle pour des reportages photos accompagnés d’interviews. Entre-temps, Joana fonde l’agence photo Sincropress avec d’autres professionnels.

Dans le monde du football professionnel, elle participe à la dernière interview qu’accorde Santiago Bernabéu à la presse. Alors qu’elle arrive au domicile du patriarche du Madrid, ce dernier la reçoit avec son ami en pyjama. Le temps pour Bernabéu de faire une remarque a son confrère, le besoin de se vêtir plus convenablement par respect pour la dame qu’il connait depuis fort longtemps.

Paradoxalement, une telle émancipation et indépendance dans une Espagne conservatrice n’ont jamais secoué les hautes sphères de la société espagnole. Biarnés ne correspondait pas à la femme espagnole de son temps. Ignoré la chose était plus évidente que de la combattre. Le régime ne pouvait pas faire face à ses propres contradictions.

Toutefois, on note que Joana Biarnés fut une sorte de précurseuse dans son métier. Elle était par son travail en tant que femme sans équivalence dans le domaine du sport et du football en Europe.

Joana Biarnés quitte la presse en 1985, lassé par l’approche de ses semblables dans le monde de l’information. Elle ouvre un restaurant à Ibiza, considéré comme l’un des meilleurs des Baléares. Deux ans avant sa disparition qui intervient en 2019, elle se retire définitivement de toute activité, non sans avoir fait quelques expositions, mettant en valeur tout son travail…