João Havelange, l’inventaire
Le Brésilien João Havelange, ex-président de la Fifa, est décédé mardi 16 août 2016 à Rio à l’âge de 100 ans. Plutôt que de brosser un portrait négatif de l’homme à l’image de l’ensemble des médias professionnels et non professionnels, un regard s’impose sur l’action de ce dirigeant incontournable du monde du sport durant la moitié du vingtième siècle. Grand par la taille, calme, une voix grave et monocorde, une dialectique lente, un regard spectral qui intimide ses interlocuteurs, João Havelange demeure plus que jamais un des hommes les plus importants de l’histoire du football, bien qu’il n’ait jamais été joueur professionnel. Né le 8 mai 1916 à Rio de Janeiro, Jean-Marie Faustin Goedefroid de Havelange est le fils d’un homme d’affaires belge, spécialisé dans la vente d’armes, qui à immigré au Brésil vers la fin du XIX siècle. Enfant, il grandit dans une vaste demeure, aux alentours de la capitale. Devenu adulte, il refuse d’assister son père dans ce type d’activité.
Laranjeiras, l’enfance d’un futur chef
Introniser dès son plus jeune âge dans la haute bourgeoisie de Rio de Janeiro, Havelange fréquente le club de Fluminense. Il pratique le scoutisme, la natation, le water-polo et le football. Adolescent, il est sacré champion de football de la cité de Rio, avec une équipe de jeunes de Fluminense. Au fil des années, il devient une figure incontournable du club de Laranjeiras. Diplômé en droit, il est sélectionné pour les Jeux olympiques de 1936 en tant que nageur et à ceux de 1952, il est membre de la sélection de water-polo. Ainsi, durant ses jeunes années João Havelange à goûter aux disciplines collectives et individuelles, une expérience qui sera une source d’inspiration et de réflexion pour lui en fonction de ses rapports avec ses interlocuteurs. Durant les premières années de son ascension, Havelange fait preuve d’une réelle indépendance, il n’est pas membre de la grande loge maçonnique de Rio. Malgré cette absence de réseaux, Havelange développe certaines qualités qui vont le mener au sommet. Quand il parle avec son style si particulier, tout le monde l’écoute. Il se révèle pragmatique sur bien des sujets qu’il aborde, il se constitue tant bien que mal un premier réseau à partir de la haute société qu’il fréquente au sein du club de Fluminense.
Premier mandat
C’est dans l’État de São Paulo qu’il fourbit ses premières armes en tant que dirigeant, il veut rendre au sport ce qu’il lui a donné. À peine introniser dans ses nouvelles fonctions, Havelange découvre ce qu’il avait déjà entrevu depuis fort longtemps. L’organisation du sport est inexistante dans un pays au statut fédéral, seuls le désordre et l’anarchie règnent. D’emblée, Havelange met de l’ordre au sein des organismes en charge des sports. Son travail méthodique et rigoureux est remarqué en haut lieu. Havelange retourne à Rio. En 1952, il hérite d’un poste central, vice-président de la confédération des sports du Brésil. Havelange multiplie ses activités, outre ses responsabilités au sein de la CDB, il dirige une des plus importantes sociétés de transport routier du pays, il est impliqué aussi dans une grande compagnie d’assurance du pays. Deux ans plus tard, Havelange accède au poste de président de la CDB.
La sélection au-dessus de tout
Rapidement Havelange s’attaque au cas de la sélection nationale de football. Il réunit les tenants du football brésilien, tout le monde doit œuvrer pour que la Seleção soit en position de gagner. Havelange transforme en totalité l’organigramme de la sélection avant qu’elle se rende en Suède. Il met le paquet, il donne à l’entraîneur Feola en charge de la sélection une armée d’adjoint et de docteur pour tirer la quintessence absolue de son effectif. Le résultat est saisissant, le Brésil remporte à deux reprises le trophée Jules Rimet.
Vision politique ?
Il est impossible de porter un jugement politique sur l’homme, mais on constate des accointances avec les différentes familles politiques qui composent l’establishment du pays. À droite, à gauche, aux extrêmes, Havelange est un peu tout ça, une manière chez lui de marquer son territoire, être au-dessus de tout. Havelange commence à gravir les échelons de la société brésilienne lors de la proclamation de l’Estado Novo de Getulio Vargas qui se remarque par son dirigisme et centralisme, ce qui convient à Havelange. Durant toute son odyssée à travers le sport brésilien puis mondial, Havelange va faire de cette méthode une gouverne dont il ne se détournera jamais. Centraliser, créer un pouvoir fort pour mieux décentraliser par la suite. Il prend le bon wagon avec Kubitschek .Quadros puis Goulart se succèdent à la tête du pays jusqu’au coup d’État des militaires. Havelange fin praticien demeure indéboulonnable à son poste. Les gouvernements changent, mais lui poursuit sa mission. Après avoir renforcé le pouvoir de la CBD, il contribue à décentraliser le sport dans chaque recoin du pays. L’activité sportive est désormais incontournable à l’école. Par le biais de ces diverses politiques, Havelange provoque la fin du duopole qu’exercent les clubs de Rio et Sao Paulo sur le football brésilien. Havelange personnage incontournable de la société brésilienne entretien des rapports cordiaux avec un tas de personnes. Canailles, politiques, artistes, affairistes, Havelange ne semble guère faire de distinction entre toutes ses personnes, une façon encore pour lui d’être au-dessus de tout.
Feu vert à un communiste
Déterminé et pragmatique, il intervient dans la nomination de João Saldanha à la tête de la sélection. Bien que communiste, Havelange a toute confiance dans les méthodes de Saldanha. Le Brésil fait l’impasse sur la participation à la Copa America qui se déroule chez le voisin uruguayen pour mieux préparer les matches éliminatoires en vue du mondial mexicain. Le Brésil réalise un parcours sans fautes lors de ses éliminatoires, oublier le mauvais épisode vu en Angleterre. Juste avant le mondial, Havelange pour la première et seule fois de sa carrière de dirigeant cède face aux pressions du tout nouveau chef de l’État. Le général Medici exige que Dario attaquant vedette de l’Atletico Mineiro, joue durant le mondial. Un autre problème vient se greffer, Pelé est vertement critiqué par Saldanha, il est myope, lent, et n’a plus vraiment le niveau. Pelé prend très mal ses critiques au point d’en référer ouvertement à Havelange. Saldanha qui ne se sent pas soutenu par sa direction rend son tablier, “je suis gaucho et supporteur du Gremio comme le chef de l’État, mais l’équipe ne se fait pas dans les ministères”. Havelange sort sans trop de dégât de cet épisode, tout en étant très attentif aux besoins des joueurs. Quelque mois plus tard, le Brésil rentre dans la légende à tout jamais. Les auriverdes réalisent un parcours presque parfait à la grande satisfaction d’Havelange, lui, le grand architecte de ce Brésil qui plaît tellement au monde du football.
Vision du jeu de la Seleção
Havelange s’est parfois laissé à travers quelques interviews transparaître sa vision du jeu au sujet de la Seleção. Une fois de plus l’homme étale son pragmatisme, récemment encore, il parlait de l’équipe championne du monde en 62 , une formation exemplaire, solide talentueuse avec un joueur clé – Garrincha – il décrit l’étoile solitaire du Botafogo comme un joueur unique, créatif, un génie du jeu qui ne pouvait que mené la Seleção à la victoire. Havelange n’a jamais été un partisan d’un football cloisonné, il était libertaire.
Président de la FIFA
Quatre ans plus tard, il est élu président de la FIFA grâce à de nombreux soutiens, dont celui d’Adi Dassler, fondateur et PDG de la marque Adidas. Havelange ne change rien à sa ligne de conduite. Il reste durant vingt-quatre années à la tête de la FIFA. Ses innovations sont connues de tous, il popularise le football à travers les pays les plus reculés du monde, s’achetant au passage la certitude d’être réélu à son poste. Il donne une audience populaire à la Coupe du monde. On lui reproche de ne pas avoir retiré l’organisation du Mondial au régime de Videla. Cinq années après le sacre argentin, le régime des généraux s’écroule. L’avis des Argentins diverge, mais certains pensent que le fait que le pays se soit retrouvé sous les projecteurs du monde entier a joué en défaveur du régime criminel de Videla. Havelange a toujours pensé que le football était au-dessus de tout, qui tente de l’instrumentaliser y laissera des plumes. Il est le premier dirigeant à avoir compris et assimilé la nature sauvage et libertaire du football. Havelange qui a transformé la FIFA en une force politique et économique se retrouve imbriqué vers la fin de sa présidence dans de multiples affaires de corruptions. La trop forte proximité de son gendre Ricardo Teixeira est pour beaucoup dans cette fin de parcours chaotique.
Un gendre bien encombrant
Ricardo Teixeira étudie le droit à Rio de Janeiro quand il fait la rencontre de la fille de Joao Havelange. Il s’intéresse assez rapidement à tout ce qui touche à l’administration du football. Il devient un dirigeant dans l’ombre de son désormais beau-père. Après des années de pratique, il devient président de la CBF. Dès lors, le football brésilien va cesser de décliner. Néolibéral, il est un pur produit du brésil de l’après des généraux. Sous ses divers mandats, les clubs subissent une transformation culturelle et se mettent à disposition des marchands européens. L’odyssée de Ricardo Teixeira à la tête du football brésilien s’achève avec l’attribution de la Coupe du Monde de football au Brésil par la FIFA. Teixeira finit par être poursuivi par la justice de son pays, il est condamné par les instances juridiques locales, depuis, il s’est réfugié aux États-Unis. Teixeira, a ramené le football brésilien, à son archaïsme d’origine, un archaïsme brisé jadis par un certain João Havelange devenu tout puissant président de la confédération brésilienne des sports cinquante ans auparavant.