Guêpier pour trois abeilles
Au nom du capital
Dans la course à l’achat de tout et n’importe quoi, l’acquisition de clubs de football européen est devenue une mode depuis quelque temps. Il y a plus d’un an, l’Italie a vu un de ses clubs les plus prestigieux l’Inter de Milan passé sous une bannière étrangère. L’industriel du pétrole Massimo Moratti fils d’Angelo qui avait façonné la légende du club milanais durant les années soixante sur la scène mondiale à céder 70% des actions du club pour la somme de 75 millions à ISC, une société présidée par un investisseur indonésien du nom d’Erick Thohir. Ce dernier endosse au passage la dette du club lombard qui s’élève à hauteur de 200 millions.
Erick Thohir est le fils d’un richissime industriel indonésien. Adolescent, il fréquente les meilleures écoles et passe ses diplômes dans une université américaine. Ses débuts dans le monde des affaires ne sont guère satisfaisants, le père venant souvent au secours du fils. Son frère qui répond au patronyme de Garibaldi entreprend une carrière dans la banque.
Méthode américaine
Thohir n’a rien créé, il achète en mettant en gage ses autres entreprises. Une fois acquis, il leur fait subir une cure d’amaigrissement en mettant en pratique son catéchisme appris à la lettre dans les meilleures écoles de commerce américaines. Sa prise de contrôle du club italien va dans ce sens bien que le club nerazzuro est loin d’être la première expérience de Thohir dans le monde du sport professionnel.
Avec l’achat du club lombard, l’homme d’affaires indonésien passe à l’action. Après avoir liquidé la totalité de l’état-major du club, il nomme un ensemble de personnes n’ayant peu ou aucun rapport avec le football. Des exécutifs hommes et femmes ne parlant que l’anglais, tranchant ainsi avec la douceur locale traditionnelle de ses prédécesseurs.
La fin du mécénat
L’inter de Milan tout comme son cousin l’AC Milan et la Juventus de Turin, les trois clubs les plus prestigieux d’Italie ont un point commun. Leur pouvoir à toujours reposer sur l’apport de fonds extérieur continuel garantissant ainsi leur leadership au sein du football italien. La crise et le fair-play financier ont mis à mal cette méthode plus que discutable, alors que leurs concurrents ont appris depuis fort longtemps à s’autofinancer et à ne vivre que de leur revenu à l’exception des clubs de Parme et la Lazio de Rome durant les années quatre-vingt-dix. Les trois grands clubs du nord n’ont cessé de crever les plafonds, grugeant ainsi la compétition à de multiples reprises depuis l’après-guerre.
Dès son arrivée, Thohir a réglé cette question. Malgré sa fortune, il n’a pas les moyens de régler les ardoises colossales de plusieurs dizaines de millions d’euros pour équilibrer les comptes nécessaires au fonctionnement d’un club tel que l’Inter de Milan, chaque fin de saison. Privé de cette manne providentielle, pointée du doigt en fonction du fair-play financier ne produisant rien en terme de formation à l’image de son cousin, le Milan, l’Inter est irrémédiablement condamné pour l’instant aux places d’honneur.
Stade
Une modernisation du Stade Guiseppe Meazza pour accroître les recettes est faisable. Les rajouts mis en place dans le cadre de la Coupe du monde 1990 doivent être supprimés. La capacité sera réduite à 50 000 places avec une arène munie d’une nouvelle toiture plus en harmonie avec l’architecture du stade Meazza. L’actuel Stade de San Siro est bien trop grand, la modélisation entreprise dans le cadre du Mondial 90 n’a pas été une réussite. Néanmoins aux dernières nouvelles, il est question de raser le stade et d’entreprendre la construction d’une nouvelle arène financée en partie par les deux clubs lombards.
Business plan
Thohir détient la majorité d’ISC, Rosan Roeslani et Handy Soetedjo sont les deux autres actionnaires d’ISC. C’est là que l’affaire devient intéressante. Roeslani était actionnaire et administrateur de Berau, une filiale de la société Bumi ex Vallar un hedge-fund créé par le financier anglais Nathaniel Rothschild. Bumi détient la totalité des mines de charbon en Indonésie. Récemment, une fracture est apparue entre Rothschild et la puissante famille Bakrie qui détient la majorité de Bum, le financier britannique accusant les Bakrie d’avoir entre autres détourné 1 milliard de dollars.
Roeslani était membre du conseil d’administration et actionnaire de Berau Coal une des multiples filiales de Bumi ainsi que Soetedjo et Peter Sheve, bien que non-actionnaire de ISC. Sheve fait partie aussi du tout nouveau conseil d’administration du club lombard. Roeslani est accusé par Rothschild d’avoir siphonné 200 millions de $ dans les comptes de cette filiale. Depuis les tribunaux ont pris le relais pour essayer de démêler le vrai du faux de toutes ces histoires, quant aux protagonistes qui suivent l’affaire de près, ils pensent que cet argent a servi aux Indonésiens a financé l’achat et la restructuration du club milanais.
Épilogue
En se portant acquéreur du club lombard, on se demande ce que Thohir et ses associés sont venus faire dans un tel guêpier ? La vanité, l’arrogance, le besoin de reconnaissance certes sont des traits qui définissent ce type de personnage, mais dans ce genre d’opération, le ridicule n’est jamais loin. Les supporters ont demandé la fin de cette séquence et le départ de cet intrus, oubliant un peu vîtes que leur équipe chérie était composé de onze joueurs étrangers lors de la finale de Champions League, une situation qu’ils n’avaient pas trouvé choquante à l’époque.
Le rôle de la famille Moratti semble encore plus étrange. Ernesto Pellegrini ancien propriétaire du club lombard avait proposé de faire un tour de table à Moratti pour que le club reste dans le giron régional, il n’en fut rien. Le très mondialiste Moratti a-t-il obtenu des gages pour l’obtention de marché en Indonésie ? Seul, le temps le dira.
En attendant, l’Inter de Milan évolue au milieu du classement, loin des places européennes si lucratives. Thohir et ses associés ont réalisé une des plus mauvaises acquisitions du monde du football. Si les investisseurs indonésiens comptent sur le temps pour réaliser à terme leur projet, il sera bien difficile de convaincre les supporteurs du club d’être patient une bonne dizaine d’années, a moins que ceux qui font la course en tête, plonge à leur tour…