Gianni Rivera, le conciliateur

1961, Nereo Rocco entraîneur du club de Padova est recruté par la direction technique du Milan AC. Dès son arrivée, Rocco passe l’effectif en revue, il constate la présence de Gianni Rivera, un jeune joueur qu’il connaît. En le regardant évoluer balle au pied, la seule phrase qu’il délivre au président Rizzoli qui fonde les plus grands espoirs sur sa petite perle est la suivante.   “Vous savez monsieur, Rivera, il est  beau à observer, si cela ne vous dérange pas, j’aimerais le prendre pour l’installer dans mon jardin et le contempler pour me divertir, mais je vous préviens pour le football de haut niveau ce n’est pas très sérieux”. Rizzoli n’a que faire des propos de son nouvel entraîneur.

Andrea Rizzoli fils d’un imprimeur devenu entrepreneur de presse est à la tête du plus important groupe de communication d’Italie. Comme l’ensemble des brasseurs d’affaires transalpin, Rizzoli a été coopté par le département d’État américain dans le but de servir l’alliance atlantique – l’OTAN. Rizzoli acquiert la majorité du club lombard dans les années cinquante. L’homme est un visionnaire et maîtrise son sujet. Le club du Milan est celui de la masse, des ouvriers des grandes firmes. Pirelli et Alfa-Romeo. Rizzoli est mazzinien et le Milan se doit de correspondre à cette matrice. En prenant les commandes du club milanais, il se met en tête de construire une équipe qui par son style de jeu et son aura pourrait aider à pacifier les relations entre les différents partenaires sociaux en Lombardie.

Lors d’une rencontre qui oppose le Milan à Alessandria, Rizzoli découvre un adolescent de dix-sept ans, son nom ; Gianni Rivera. Le club milanais bondit sur l’occasion et signe ce jeune homme bien sur tout rapport. Raillé par le célèbre journaliste Gianni Brera, Rivera s’impose en équipe première aux côtés des deux grandes vedettes de la formation lombarde, le vieillissant Nils Liedholm et le très classieux Juan Alberto Schiaffino.

Rivera est un projet qui dépasse le cadre du sport. Le joueur plaît à la foule son élégance sans faille de petit écolier, son brushing, sa technique faite de contre pieds rythmé et endiablé, sa clairvoyance dans le jeu, son excellent jeu de tête et un des tout premiers experts en coup franc ensorcelle les supporters de San Siro. Andrea Rizzoli tient son symbole, si Rivera n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer.

Vers la fin des années soixante, la contestation estudiantine se répand dans les universités de la péninsule. Ces mouvements de diversions pour contrer les luttes syndicales ouvrières aboutissent à l’Autunno caldo – l’été chaud – de 1969. Le pays est pris de convulsions multiples, Milan n’échappe pas à la règle. Durant cette année, l’enfant de San Bartolomeo avec une deuxième victoire en coupe d’Europe des champions additionnés au titre intercontinental, reçoit des mains de Max Urbini, patron du journal France Football, le Ballon d’Or dans un stade de San Siro comble et dans une ville un brin épargnée par la violence qui oppose des groupes d’étudiants, les classes populaires et la police, mais marquée par le début de la stratégie de la tension orchestrée par l’État.

Il serait exagéré de penser que le beau Rivera, capitaine et joueur vedette d’un club champion du monde à jouer un rôle majeur dans un certain adoucissement de la classe prolétaire qui supporte le club lombard. C’est pourtant dans cette optique qu’Andrea Rizzoli avait racheté le club vingt ans auparavant et Rivera bien que footballeur de profession n’a cessé d’être un intermédiaire entre le pouvoir économique et les couches populaires. Rivera acquiert une telle aura, qu’il sort vainqueur d’un bras de fer déclenché par le nouveau président du club, Albino Buticchi durant la saison 1975. Buticchi jeune résistant s’exile dans les pays anglo-saxons après la fin de la deuxième guerre mondiale. Revenu au pays, il prend la tête de la société d’hydrocarbure BP dans le nord de l’Italie. Buticchi veut échanger Rivera qu’il juge vieillissant à Claudio Sala, la vedette du Torino. Rivera bas le rappel des supporters et se débarrasse de cet intrigant.

Le désormais président joueur, car il possède des parts du club glisse vers la fin de sa glorieuse carrière le tout ponctué d’une troisième couronne de champion d’Italie. Une fois les crampons raccrochés, Rivera s’occupe de son patrimoine et tente de remettre sur pied le club condamné dans l’affaire du totonero. Avec ses associés, il ne résiste pas longtemps aux manœuvres et intimidations de Berlusconi qui veut acheter le club milanais au printemps 86. Rivera intègre la démocratie chrétienne en 1987, puis est élu au parlement. Par la suite, il rejoint la coalition de l’olivier et sans oublier son légendaire contre-pied, il devient sous-secrétaire à la défense sous le gouvernement de Romano Prodi de 1996 à 2001. Peu après, Il est élu au parlement européen, mais l’ancien fuoriclasse ne s’est jamais détourner du football.

Durant deux décennies, il fut impossible de dissocier le nom de Gianni Rivera de celui du club de Milan. Ce joueur gracieux technique et précieux, a été l’étendard d’un club dont l’écrasante majorité des supporteurs est issue des couches populaires environnantes, Gianni Rivera à jouer avec doigté le rôle qui avait été imaginé pour lui par Andréa Rizzoli, celui du conciliateur.

Éternel adepte du contre-pied, Rivera milite ardemment pour destituer l’autorité parentale aux dirigeants et de confier la gestion du football à des techniciens et des joueurs. Rivera est trop intelligent pour savoir que les industriels ne lâcheront pas de sitôt les affaires du football, une façon de continuer à exister entre deux mondes.