Gianni Brera, mauvais génie
Gianni Brera -1919-1992 – de son vrai nom Giovanni Luigi Brera fut durant l’après-guerre le journaliste le plus influent de la presse italienne en matière de football. Brera c’est un style bien particulier, une dialectique chatoyante faisant référence à bon nombre de classique de la littérature pour enrichir ses chroniques, mais Brera c’est aussi un idéologue du jeu, un homme qui a participé à déterminé dans bien des domaines la culture jeu du football italien, en mal.
Gianni Brera originaire San Zenone al Po, s’inscrit à l’Université de Pavie tout en pratiquant le Calcio à ses heures perdues. Brera obtient une maîtrise en science politique durant la guerre, il sert avec le grade de lieutenant. En 1944, il se réfugie en Suisse à cause de son antifascisme, il rejoint la résistance italienne.
Après la fin des hostilités, il intègre le journal de la Gazzetta dello Sport, le principal organe de presse qui traite de l’actualité sportive en Italie. En 1949, il en devient le rédacteur en chef du quotidien milanais. Brera collabore avec un tas de journaux européens, véritable touche-à-tout, il élabore des romans et des pièces de théâtre, mais il est connu pour être la plus fine écriture de l’Italie en matière de football, une plume très à droite au service du système dominant tout entier.
Brera se fait remarquer durant ses premières années par la qualité de ses productions, mais au tournant des années cinquante, il se manifeste par ses prises de position au sujet du football italien. Brera est un partisan d’un jeu défensif, il milite activement pour éliminer un attaquant au profit d’un défenseur positionné derrière les lignes arrière, il est un fervent adepte du libero.
Brera avance une théorie qui va faire son lit dans les élites du football transalpin, le football va cesser d’évoluer et la condition physique risque de prendre une importance déterminante. Brera pense que les joueurs italiens sont et resteront quoiqu’il advienne avec le temps aux prises avec une déficience sur le plan athlétique par rapport à leur adversaire, Anglais et Allemands notamment. Brera se fait fort de pesé de tout son poids pour tenter d’influencer les meilleurs entraîneurs du pays pour réorienter le jeu pratiqué par l’ensemble des formations de la Série A. Les équipes transalpines oscillent entre un jeu défensif et offensif, la question du tout attaque ou toute défense n’est pas tranchée, mais peu à peu, certains coachs dont Gipo Viani, aligne leur équipe flanquée d’un libero.
Les visions de Brera vont de pair avec les objectifs des grands capitaines d’industrie qui ont investi dans le football italien. La peur et l’impérieuse nécessité du résultat envers et contre tout gagnent définitivement les élites du football italien. Croire que Brera est à l’origine de ce virage est un peu rapide, la culture d’entreprise avait commencé à structurer le football italien de club, Brera est celui qui finit le travail.
Quelques années plus tard, Brera se fait remarquer par des tirades féroces contre le talent pur. Alors que le jeune Gianni Rivera débute dans les rangs du Milan, Brera prend en grippe ce chétif, gringalet à la technique pourvu d’une élégance sans faille. Article après article, Brera fustige ce joueur qui ne sert à rien si ce n’est à divertir la foule. Brera fini par mettre la pédale douce sur Rivera, la forte proximité du club du Milan avec la Gazzetta couplé au poids d’Andrea Rizzoli puissant patron de presse et actionnaire majoritaire du club lombard permet de préservé Rivera.
Brera trouve en Helenio Herrera une sorte de pensée dupliquée. Brera parle le français correctement, il conseille Herrera lors de ses premiers mois en Italie. Il confie à l’entraîneur Franco-Argentin qu’il est inutile de vouloir jouer l’attaque, que le football transalpin n’est pas de par sa mentalité tourné vers l’attaque, seul un jeu défensif fait de ruse et d’occupation du terrain peut mener le football italien au sommet.
Herrera du fait de son pragmatisme change sa doctrine pour faire de l’Inter une équipe basée sur un concept avant-gardiste, éloigné du simple catenaccio, un jeu qui repose sur l’attente et de la captation de la balle pour opérer en contre-attaque, le numéro dix devient obsolète dans ce système de jeu. Le milieu s’articule autour de deux relayeurs tacticiens Suarez-Mazzola. Le second perfore les défenses et apporte un appui à ses attaquants.
Brera voyait dans le talent une source synonyme d’indépendance qu’il fallait castrer. Après Rivera, Brera n’aura de cesse de récidivé avec d’autres joueurs transalpins, dont Giancarlo Antognoni et Evaristo Beccalossi, tout ce qui était créatif, élégant avaient droit à sa vindicte, mais Brera fut en bute à des attaques provenant de certains de ses confrères qui ne partageaient pas ses opinions concernant la place du créateur dans le football italien.
Brera éprouvait une peur face au talent, en bourgeois et agent de la classe dominante, il savait que le talent était de par sa nature incontrôlable, un contre-pouvoir, capable de tout renverser, il mettra de temps en temps ses visions empreintes de radicalisme de côté pour faire la paix avec Gianni Rivera notamment, mais la vision du jeu prôné par Brera à profondément imprégner les techniciens transalpins, ce qui explique à l’exception de Rivera et Beccalossi, l’absence de joueur technique et créatif dans les grandes formations du nord de l’Italie, les plus en phase avec la culture d’entreprise.
Maestro des mots et des formules tranchées, Brera aura mis tout son acquis au service d’une mauvaise pensée pour pérenniser l’idée de classe dans le football italien…