Dissonance cognitive

Pour certains historiens du football brésilien, Heleno de Freitas est le meilleur joueur de son époque. Je ne vais pas à travers ce texte me prononcer sur ce type d’opinion, car ce genre d’affirmation ne m’intéresse pas, mieux, je pense qu’elle dissimule des choses qui méritent une critique plus poussée sur le joueur et le personnage…

Élégant, technique, athlétique, le sens du but, excellent de la tête, créatif, mais aussi, dur, sanguin, capricieux, caractériel, tyrannique et toxicomane, pour tous journalistes et historiens du football auriverde, le cas d’Heleno de Freitas reste à ce jour un sujet inépuisable, qui néanmoins demeure mal traité, la faute au manque de recul au travers d’une écriture trop axée sur l’émotionnel et le sensationnalisme…

Né en 1920 dans un milieu bourgeois de province, le jeune Heleno déménage avec toute sa famille pour Rio de Janeiro. Heleno qui joue au football prend une licence au sein du club de Botafogo, cependant, il délaisse le terrain pour le football de plage. À l’âge de seize ans, les dirigeants du Botafogo ferment la section foot de plage. En colère, Heleno quitte le club alvinegro pour le voisin de Fluminense. Pour un garçon qui déteste la trahison, ce changement constitue un défi.

Heleno intègre le grand terrain et évolue dans l’équipe première des moins de dix-huit ans. Son allure générale impressionne les dirigeants locaux, mais ses années à jouer sur les plages ont produit un joueur sans repaire qui court un peu partout aux quatre coins du terrain et qui compense par ses qualités naturelles, certains manques. Carlos Carlomagno un technicien uruguayen du club de Fluminense le prend en main.  Avec lui, Heleno apprend à se déplacer sur le terrain. Ensemble ils conviennent que sa meilleure position est de joueur en soutien de l’avant-centre. Carlomagno est la seule personne qu’écoute Heleno qui ne se sent pas à son aise dans ce club.

L’année suivante, il retourne au Botafogo par la grande porte. Rapidement, il débute dans l’équipe première aux côtés de Carvalho Leithe, la vieille gloire du club noir et blanc. En quelques années, Heleno devient le dieu du club de l’avenue du General Severiano, la star du football de Rio de Janeiro et la vedette de la sélection auriverde.

Dix ans plus tard, après des années à la tête du club à l’étoile solitaire, Heleno bifurque au gré d’opportunités entre l’Argentine et la Colombie en quête de rédemption. Une fin de carrière rapide émaillée d’incidents multiples du fait d’un joueur malade traînant une syphilis non soigné. Quelques années plus tard, le joueur décède dans un centre spécialisé loin des strass et des paillettes, loin d’une sélection auriverde sacrée championne du monde pour la première fois de son histoire…

Si Heleno de Freitas fut un joueur exceptionnel, aucun partenaire et entraîneur n’a jamais remis en question son talent, il se trouve que s’il n’existe aucun document vidéo mettant en lumière son style, les récits produits par la presse brésilienne à son sujet sont nombreux. Beaucoup d’observateurs ont mis en lumière sa manière de jouer et de se comporter sur un terrain de football. Si Heleno sous la tutelle de Carlomagno franchit un pas suffisant pour passer d’une simple promesse à celui de star du football local, Carlomagno et les différents techniciens du Botafogo ne réussirent à gommer le joueur de plage. Ses buts, son jeu de tête, des mains à la place de la poitrine, une technique raide, brutale, sec, tout émanait en lui du joueur de plage…

Au fond, de Freitas fut conscient dès sa consécration sous la tunique du Botafogo qu’il n’était pas un joueur ordinaire ou même talentueux du fait de son parcours atypique d’où ses longues après-midi, ou il s’entraînait seul sous le soleil de Rio dans son fief du stade de l’avenue du General Severiano.

En 1948, les dirigeants du Botafogo décident de s’en séparer et le cède au club argentin du Boca Juniors. Heleno fou de rage pense qu’Ondinio Viera, le nouvel entraîneur recruté chez les rivaux du Vasco Gama se trouve derrière cette histoire.

Bien plus tard, on apprendra que Viera avait posé comme condition préalable à son engagement en faveur du Botafogo que de Freitas soit transférer dans un autre club.

Le coach uruguayen considérait qu’Heleno était un joueur au-dessus du reste, mais l’homme était doté d’une personnalité tyrannique qui inhibait l’ensemble de ses partenaires, ne leur permettant pas de s’exprimer librement. De Freitas était un joueur typique de son temps, le genre que l’on trouvait sur les bords du Rio de la Plata entre Buenos Aires et Montevideo, l’esprit entraîneur-joueur, cependant le joueur manquait de finesse et de recul sur son monde.

Ses partenaires devaient jouer sur sa partition. Chef d’orchestre, tout le monde ce devait être au diapason, le génie tolérait le moindre écart de ses coéquipiers…

Viera était dans le vrai. Après le départ de Freitas pour l’argentine, le Fogao remporte enfin le titre de champion de Rio, chose que le club n’avait plus accomplie depuis des années.

Licencié en droit, homme de gauche et marxiste assumé, Heleno de Freitas se présentait comme un bourgeois bohème. Icône du Rio des années quarante et libertin, il courait le Tout-Rio faisant don de son corps à toutes les femmes qu’elle soit riche ou pauvre. Introduit dans la haute société, il discutait politique avec le chef de l’État, Getulio Vargas, s’entretenait avec l’intelligentsia locale et parlait poésie et  musique avec son ami Vinicius de Moraes, il s’avérait beaucoup moins  radical, inconséquent et émotif que sur les terrains de football.

Ferme, idéologisé mais sociable dans la vie, créateur, autonome et despote sur les terrains, Heleno de Freitas ne fut jamais en mesure de corriger ses multiples contradictions qui ont fait de lui un homme agité et timoré tout au long de sa courte vie…