Délire collectif

Demi-dieu, star, icône, génie, créateur, révolutionnaire, les superlatifs ne manquent pas pour décrire ce que le footballeur néerlandais Johann Cruyff récemment décédé incarne pour la presse française et européenne. Cette dévotion est symptomatique de la manière dont les élites conçoivent le football en Europe.

À titre personnel, étant de culture païenne, je n’ai rien contre la fabrication d’icône et je comprends aisément l’impératif besoin de repère en matière de football, mais avec le plus célèbre des numéros 14, on touche à autre chose…

Mondial, 1974, Olimpiastadion de Munich, les Pays-Bas affrontent l’Allemagne de l’Ouest en finale de cette dixième édition de la Coupe du Monde. Les Néerlandais donnent le coup d’envoi, après  quelques passes, Cruyff hérite du ballon juste avant la ligne de partage. Il fixe l’horizon comme un guépard qui convoite sa proie, le corps ciselé, le félin avance tapotant le cuir avec une aisance particulière. Cruyff maltraite la balle, il ne caresse pas le cuir, il lui assène des petites claques, s’ensuit une première accélération, sec, incisif balle collée au pied, buste droit, le félin trace sa route, puis c’est un léger temps d’arrêt, l’animal carnassier voit désormais sa nourriture à portée, le goal allemand Sepp Maier et c’est une seconde accélération beaucoup plus violente, couplé une rythmique diabolique. Chaque contrôle du ballon est fiévreux. Le félin a sorti ses griffes et s’écroule dans la surface de réparation abattue par le latéral droit Berti Vogts qui fait office de chasseur de service ce jour-là !

Cette seule action de jeu résume à bien des égards ce que fut le joueur Cruyff. Un jeu basé sur l’explosivité, la soudaineté, le qui-vive, sec, mince, pulsé, veines gonflées, hautain, yeux revolver, Cruyff  tient du guerrier médiéval bien plus que d’un joueur de football. Il ne fait pas l’amour au ballon, il fouette le cuir, le joueur est dans un rapport constant de maître à esclave. Cruyff n’est pas synonyme de romantisme, de par son style de joueur industrialisé, il préfigure ce que va devenir le football en Europe.

Il y a une part d’ombre immense chez le joueur, son étroite relation avec John Rolink, docteur Mabuse du club de l’Ajax, sa propension à s’attribuer la paternité de gestes, d’idées et un football jouer par d’autres oublier de nos jours, son influence désastreuse sur l’EIftal et ses conflits permanents avec des joueurs dont le malheureux Van Beveren indispensable dans les cages du onze Néerlandais et qu’il a chassés jusqu’à encourager des supporteurs du club de Barcelone d’aller en découdre avec sa personne avant une ½ finale retour de coupe UEFA contre le PSV Eindhoven, ce qu’une biographie récente sur le joueur préfère ignorée sans oublier parmi bien d’autres choses sa séquestration durant quelques heures par des envoyés de l’État argentin pour qu’il renonce à disputé la Coupe du Monde. La légende noire du numéro 14 est exhaustive pour ceux qui veulent lever s’y intéresser….

Cruyff est un mauvais tournant dans l’histoire du football européen, joueur autodidacte – héritage merveilleux – il a dissolue et rejeter son savoir-faire du à la pression de son entourage dans un football industrialisé. Cruyff  n’a pas libéré le jeu, il a codifié pour les besoins du marché. Il est à l’origine de l’émanation du coach pur produit du monde de l’entreprise avec comme aboutissement, la robotisation et l’infantilisation des joueurs sur le terrain. Cruyff est une réponse de l’Europe du football à l’Amérique du Sud, le possédant hargneux aux pauvres diables, la laideur bourgeoise à la beauté naturelle.

Le manque d’icône dans un football européen assez pauvre en matière de joueur à produit cette mythologie de  Cruyff demi-dieu des terrains gazonnés. L’Europe du football s’est choisi ce joueur comme référence, elle méritait mieux, car Cruyff a trahi son art, là où d’autres ont refusé de le faire, fin de l’histoire, la légende commence. Or, nous savons de quoi sont faites les légendes…