Dans l’intimité d’un champion
Jim Clark et son ami Gérard « Jabby » Crombac à sa droite © Gérard Gamant – forum Autodiva
1948, Zurich, le jeune Gerrard Crombac âgé de vingt ans est un passionné de course automobile. Il jongle entre son emploi dans le Prisunic de papa et un journal local en tant que pigiste. Il couvre son premier Grand Prix cette année-là, et tend peu à peu vers le métier de journaliste.
Lors de son premier voyage en Angleterre, il fait la connaissance de Gregor Grant qui dirige un magazine consacré à l’automobile. Crombac devient le correspondant en Europe pour Grant. En 1952, il traverse la manche, il a prévenu par télégramme une secrétaire de la toute jeune société Automobile Lotus, qu’il arrive pour faire un reportage.
Crombac débarque dans les ateliers. Il comprend que le personnel s’est mis en quatre pour l’accueillir, une telle attention le fait sourire. Le patron fondateur de la marque Colin Chapman comprend rapidement la situation, le jeune journaliste n’est pas un envoyé spécial d’un des plus grands journaux de France. Le boss de Lotus éclate de rire et les deux protagonistes se serrent la main, ils ne savent pas qu’ils viennent d’entamer une amitié profonde qui va durer une trentaine d’années, interrompue par le décès soudain de Chapman.
Crombac continue son apprentissage dans le monde de la presse. Cependant, il tisse peu à peu des liens avec la maison Lotus. Il accompagne le team dans ses premières sorties au 24 heures du Mans et met fin à sa jeune carrière de pilote. Il s’estime ne pas être assez bon. Au tout début des années soixante, un jeune écossais intègre le Team Lotus. Son nom, Jim Clark.
Clark et Crombac deviennent amis, et bien plus que ça. Quand l’Écossais rencontre un problème administratif ou d’une quelconque autre nature, Jabby se charge de tout régler. Crombac devient peu à peu le confident du jeune pilote. De nos jours certains spécialistes de la course automobile pensent que Jim Clark est un des plus grands pilotes du sport automobile toutes époques confondues.
Même, s’il se sous-estime, Crombac qui a créé la revue Sport-Auto, devient un rouage essentiel de la société Lotus. Il conseille et aide Chapman suite au déménagement des usines Lotus basé à Cheshunt dans la banlieue londonienne à Norwich. Il sert aussi de médiateur entre la direction et les délégués du personnel qui représentent les salariés de l’usine.
Désireux de s’exiler fiscalement, Jim Clark partage son temps entre les Bermudes et Paris. Le désormais, double champion du Monde de F1 et vainqueur des 500 miles d’Indianapolis s’installe chez son ami, rue de Passy à Paris durant la série de courses qui se déroule en Europe. L’épouse de Crombac divise l’appartement en deux parties pour éviter au champion écossais de se sentir à l’étroit. Gérard Crombac devient le Nick Carraway de Gatsby le magnifique, le plus célèbre des romans de Scott Fitzgerald.
Le champion écossais bien qu’avenant et sympathique n’est guère bavard avec les gens qui gravite dans le monde de la course automobile. Seul Crombac a droit à ses confidences. Bien que Crombac possède une place de tout premier choix, il reste professionnel, fait preuve d’impartialité dans tous ses écrits et s’en tient à une discrétion absolue concernant son ami.
Jim Clark observe sa Lotus 49, au fond en noir « Jabby » Crombac
1968, alors que les premières épreuves débutent en Europe, Clark prend ses quartiers chez Crombac. Début avril, l’Écossais doit courir à Hockenheim en F2, car la totalité des écuries britanniques présente en F1 dispute le championnat de F2 européen. Clark prend le volant de sa Lotus Elan et file à l’aéroport pour rejoindre son Piper Comanche. Avant de prendre congé de Crombac, il lui donne les clés de sa voiture. « Écoute, Jabby, Lotus va m’offrir une nouvelle voiture, prend les clés, elle est à toi » ce sont les derniers mots du champion écossais à son ami. Deux jours plus tard, Jim Clark est victime d’un accident alors qu’il roule en solitaire dans la forêt d’Hockenheim. Sa monture dérape à 250 km/h, la F2 s’encastre contre un arbre, Clark est tué sur le coup.
Crombac continue ses activités bien qu’il soit très atteint par la disparition de son ami, il ne laisse rien transparaître de sa douleur. Il reste auprès de Chapman, ce qui lui vaut certaines attaques venant des teams adverses, car il participe à des commissions techniques. Les patrons d’écuries n’aiment guère voir ce journaliste et proche de Colin Chapman donner son avis sur la réglementation.
1982, alors qu’il se trouve à Paris dans le cadre d’une réunion technique, Colin Chapman décide de rentrer en Angleterre plutôt que de passer la nuit dans la capitale française. Crombac trouve l’idée stupide. Il accompagne son ami à l’aéroport. Ils récupèrent le Piper de la société et rejoignent Norwich. Il est 2 heures du matin, Chapman dit au revoir à son ami et lui donne rendez-vous le lendemain pour faire un débriefing. Trois heures plus tard, Chapman est victime d’une crise cardiaque.
Crombac restera fidèle toute sa vie à une ligne de conduite. Durant les années quatre-vingt-dix, il publie une biographie sur l’épopée de Lotus, il aborde de front ses rapports avec Chapman et Clark, mais il n’en ressort que le strict minimum, il ne laisse rien transparaître une fois de plus de ses sentiments. Ses amis n’étaient plus là depuis longtemps. Il y avait aussi une part de lui-même qui était partie…
2005, alors qu’il est victime d’ennui de santé, Crombac décide de se séparer de quelques voitures qu’il possède, il ne veut pas que cette succession devienne un problème pour son épouse. Il décède peu de temps après.
Parmi les modèles se trouvait l’Elan de couleur jaune de Jim Clark. Après sa disparition, il avait enlevé le macaron vert et jaune de la marque pour le remplacer par un badge noir et or « A Jim Clark in memoriam »
Créateur et rédacteur en chef de Sport Auto, Gérard Crombac donne l’occasion à ses lecteurs de découvrir, « The Great Jim Clark »