Carioca

Huitième et dernier texte consacré au football brésilien en ses temps de Mondial. Le timing est parfait, le Brésil est rentré à la maison bien avant la fin de l’acte final de cette compétition. Une habitude, désormais…

C’est un sujet plus que débattu, quand il s’agit d’échanger sur le Brésil et la nature de son football, pourtant les analyses concernant le jeu local, la manière dont il est né, ses différentes mutations au cours des décennies et ses caractéristiques qui le diffèrent par rapport à d’autre football, est peu étudié. À la décharge des journalistes, écrivains et universitaires, la propre perception, désordonné, complexifié et politisé qu’ont les Brésiliens de leur football est à la base d’une forme d’ignorance qui perdure chez nos transmetteurs du savoir.

Quand on pense au Brésil, on fait immanquablement référence à Rio de Janeiro. Car, l’ancienne capitale demeure, à ce jour, la caisse de résonance culturelle du pays. Le futebol n’échappe pas à cette règle au travers de ses grands clubs, du stade de Maracaña, et de nombreux joueurs qui appartiennent à la légende du football. Enfin, le jeu pratiqué à Rio à toujours suscité un intérêt pour bien des professionnels de la presse, allant à créer toute une mythologie à son sujet. C’est un fait, le football de Rio diffère profondément de celui pratiqué dans le reste du pays. 

Promiscuité

Il n’y a guère de terrains utilisables pour la pratique du football dans le Rio du début du vingtième siècle. Cette cité peuplée jadis par les tribus indiennes Tamoyos, découverte par les explorateurs portugais Gaspar de Lemos et Gonçalo Coelho, Amerigo Vespucci le 1er janvier 1502, après deux siècles de colonisation, attire à l’orée du vingtième siècle de nombreux promoteurs et spéculateurs de toutes sortes.

L’activité sportive s’exerce dans les clubs associatifs. La population de la cité dans sa globalité en est exclue. Durant les années vingt et trente, la ville doit faire face à un boom immobilier, ce qui condamne toute forme de politique sportive venant des élus locaux. C’est la raison pour laquelle le football de Rio jouer par les enfants des couches populaires se développe dans des espaces confinés un peu partout dans la ville qui engendre une forme de liberté et d’autonomie chez les pratiquants.

L’élite et la bourgeoisie apprennent les rudiments du jeu à travers l’enseignement des universités et la présence de techniciens, de joueurs et d’étudiants britanniques, la masse s’amuse avec ses propres règles. Blancs, noirs, métis, amazones s’organisent et jouent jouent sur des surfaces disponibles. Le moindre espace est une opportunité pour les jeunes de développer leur propre sensation, les petits endroits disponibles sont truffés d’embûches, les espaces réduits au minimum. Toutes ces contraintes enfantent une conception corporelle et un rapport envers la balle qui diffère avec le reste des grandes cités du pays, ce manque d’espace est à l’origine d’une des spécificités du jeu carioca.

Vers 1920, le jeu se répand sur les immenses plages de la capitale. Les couches populaires pratiquent avec dextérité ce nouveau futebol. Le jeu de plage se développe sur deux types de surface bien distincts. Les surfaces lisses engendrent des joueurs énergiques dotés d’une technique mobile qui développe le jeu de tête, les surfaces épaisses produisent des joueurs, dont seul le physique et une technique statique sont sollicités.

Ces multiples expressions provenant de terrains exiguës, de la rue, de terrains vagues et de la plage sont étrangers. Néanmoins, dans une société qui se démocratise lentement, ces groupes hétérogènes qui pratique un football particulier se rencontrent, puis se mélangent. Les joueurs blancs issus des classes populaires sont admis dans les clubs phares de la cité. À partir de 1924, il en est de même avec les noirs, métis et amazones. Le Vasco de Gama, club immensément populaire, proche d’une multitude d’élites politiques dont Getulio Vargas, donne le ton.

Héritage

L’incorporation de ses nouveaux joueurs pose un problème à l’ensemble des coaches. Le type de football pratiqué à Rio est dû à la forte présence des Britanniques. C’est un jeu qui demeure vertical couplé au passing game. Les dirigeants des clubs qui appartiennent tous à l’élite sociale de la cité et, sont peu enclins à laisser le pouvoir sur le jeu à des joueurs pratiquant un football, fruit d’une expression populaire. Le joueur de rue apporte une nouveauté dans le jeu. Le dribble.

Le dribble

Il existe une mythologie concernant le dribble. Les noirs défavorisés auraient enfanté se geste pour se défendre sur les terrains face aux méchants blancs qui passait leur temps à leur donner des coups. Cette litanie absurde tient de lieux communs à ceux qui veulent donner une explication à la singularité du football pratiqué à Rio. En fait, le dribble est une réponse de la rue face aux clubs élitistes et ségrégationniste sur le plan social et les blancs représentaient l’écrasante majorité de ses exclus. Enfin, les espaces confinés ont inévitablement engendré le dribble.

Style

Après bien des balbutiements, le jeu carioca se met en place. Les années quarante entérine un style qui va perdurer près d’un demi-siècle.

L’héritage britannique se dilue lentement, la vitesse de jeu diminue, le jeu horizontal se déploie et s’active aux abords des surfaces de réparation. Le jeu carioca est identifiable à travers de multiples expressions. Le très classique, une-deux, étaye cette réalité. Le porteur du ballon prend appui sur un équipier en position de pivot qui conserve le ballon, il crée le mystère, aimante la défense puis remet la balle à son équipier qui fonce vers le but adverse. Dans le reste du monde et au Brésil, cette action de jeu s’effectue en phase d’accélération et la transmission de la balle est instantanée. À Rio, on laisse traîner la chose, le temps est suspendu, on prolonge le plaisir…

Les trente derniers mètres

La principale caractéristique du jeu carioca demeure l’utilisation de la surface de jeu par les joueurs. Le jeu prend forme dans son expression créative à l’orée des trente derniers mètres. L’équipe A en phase offensive récupère la balle, elle remonte le terrain puis se positionne à distance respectueuse de la surface de réparation. La comparaison avec le handball est édifiante. L’équipe A fait tourner le cuir en attendant l’ouverture, l’équipe B défend laissant le moins d’espace à l’adversaire.

La recherche du geste bien fait est fondamentale dans l’exécution de toutes les phases offensives. Les joueurs utilisent l’intérieur et l’extérieur du pied.

C’est en phase offensive et une fois située face à l’adversaire, que le dribble, acte fondateur du jeu carioca apparaît. La balle tourne, un joueur reçoit la balle, fixe son adversaire et tente de le passer pour déstabiliser la défense et créer un décalage, ce type d’actions se déroule soit aux abords de la surface de réparation, soit dans les dix-huit mètres du camp adverse. Le dribble, acte fondateur du jeu carioca demeure le geste qui donne toute son identité au jeu de l’ancienne capitale du pays.

Toutes ses caractéristiques font du jeu pratiquer dans et aux abords de la localité de Rio de Janeiro, un football identifiable, car unique du fait de son expression artistique, fruit d’une réaction de la masse, rejeté par l’élite sociale de la ville au tout début du XX siècle….

Depuis, le style carioca reste plus que jamais pratiqué dans la cité au pain de sucre. Cependant, en fonction des évolutions qui ont frappé le monde du football professionnel brésilien, il est désormais ignoré par ce dernier.